Métamorphoses et clonage : Le corps en pièces
Arts visuels

Métamorphoses et clonage : Le corps en pièces

En ce début de siècle, que nous disent d’intéressant les artistes sur nous-mêmes? L’exposition Métamorphoses et clonage, qui vient de commencer au Musée d’art contemporain, entame un vrai débat sur l’identité avec des oeuvres de grande  qualité.

Des prémices intellectuelles très larges, qui frôlent souvent et périlleusement le cliché, mais qui servent de prétexte à montrer plusieurs oeuvres de grande qualité: voilà, en résumé, comment évaluer l’expo Métamorphoses et clonage qui vient de débuter au Musée d’art contemporain.

Certes, comme le catalogue le souligne, le clonage depuis quelques années inquiète… Mais est-ce que pour autant l’on peut sérieusement et dramatiquement conclure – comme l’écrit la commissaire Sandra Grant Marchand – que les artistes présentés au MAC interrogent la problématique "du corps éclipsé par les technologies et entraîné de manière inéluctable dans le sillon d’une histoire post-humaine"? Si tel était vraiment leur propos, l’événement ne serait guère pertinent et ne représenterait qu’une transposition simplette d’idées scientifiques mal digérées.

Car, quand avons-nous été si humains? Lorsqu’il y avait des esclaves; ou serait-ce plutôt quand il y avait des ouvriers exploités dans les usines de nos sociétés industrielles? La technologie actuelle n’est peut-être pas un si grand mal si on la compare aux machines des 19e et 20e siècles… Nous risquerions maintenant et à tout jamais d’être dépossédés de nos corps? C’est un lieu commun. Le corps a toujours été l’objet d’aliénation, de contrôle et de déformations: pensons aux femmes-girafes africaines le cou distendu de colliers, ou aux jeunes filles chinoises aux pieds volontairement mutilés à force d’avoir été compressés durant des années par des bandelettes… Même les espèces animales domestiquées ont depuis très longtemps été sélectionnées, déformées de génération en génération pour produire plus de viande ou de lait. Le vrai débat sur l’identité réside ailleurs que dans la technologie. Il est, par exemple, dans les questionnements de féministes et de mouvements gais qui ont déstabilisé nos comportements au quotidien. Et dans l’art peut-être?

En effet, car au-delà de cet aspect très branché sur l’actualité – le clonage est-il vraiment la bonne clé pour interroger le corps maintenant? -, il y a un réel propos dans cette expo. Il vient des oeuvres qui discutent de questions identitaires sur la nature humaine, de stratégie pour vivre, pour survivre, pour se remodeler une identité au quotidien.

Malgré les limites théoriques de cette expo, madame Grant Marchand a donc réuni des artistes assez formidables – Vanessa Beecroft, Nathalie Grimard, Zhang Huan… -, à l’exception cependant du très à la mode Marc Quinn (qui a fait parler de lui lors de l’expo Sensation), qui propose ici des pièces adolescentes, copies de films hollywoodiens d’horreur ou de science-fiction (Cloned Morphology calque littéralement et platement les métamorphoses du film Terminator).

Je est un autre
"Le "je" est illusion", affirme la peintre Marie-Claude Bouthillier. Avec ses formidables tableaux constitués des initiales peintes de son nom, elle compose des formes de paysages où elle interroge son identité, la confronte au réel. C’est comme si, continuellement, elle essayait de trouver un lien naturel entre, d’une part, l’arbitraire de cette identité qui lui a été donnée (un prénom, un nom de famille), son histoire personnelle et, d’autre part, le monde qui l’entoure. Recherche du sens profond de la vie?

Ses initiales deviennent brins d’herbe, vallons, collines, mais aussi tresses de cheveux et surface de peau… Comme si elle tentait d’incorporer ce qu’elle est, ce qu’elle veut être, à l’intérieur de la matière qui l’entoure, de l’étendue de la terre à la chair qui la compose. "Paradoxalement, dans plusieurs philosophies orientales, la recherche intérieure du soi amène le "je" à disparaître, pour aller vers une perte de contrôle", ajoute-t-elle. Son travail, qui a un agréable côté mystique, est proche de cette attitude-là, tissant des liens sous-terrains entre l’identité et les forces de l’univers.

Le peintre et vidéaste David Blatherwick, lui aussi, insiste: "Il y a une illusion d’une identité unique. La multiplicité des identités, ce n’est pas une maladie. C’est normal. On fait plusieurs choses en même temps dans nos vies. On aura plusieurs âges, nous transformant de l’enfant au vieillard. Il faut accepter ces identités. Nous avons tous plusieurs appartenances." Dans une Amérique bien individualiste, voilà un questionnement sur le "je" qui passe par un "nous" qui est bien sympathique.

Dans son installation Multiple Horizon, le corps, en gros plan, se fait aussi paysage, comme chez Bouthillier. Le flou des identités sexuelles (est-ce le corps d’un homme ou celui d’une femme?) semble interroger cette ouverture du corps à l’autre pour être soi, ce nécessaire dialogue avec ce qui lui est extérieur. Dans Escape Velocity, un homme bondissant vers le plafond semble nous dire un individu qui veut comme sortir de lui-même. Comme si exister vraiment dans son corps nécessitait d’en tester les limites.

Le corps politique
Le Français Gilles Barbier, quant à lui, s’en prend à la porosité du corps par rapport aux systèmes de consommation, en dénonçant ce qu’il appelle une "pornoïsation" du corps et des systèmes de représentation dans l’économie de marché. "Dans ce système, ce n’est pas le corps qui est l’enjeu, mais ce qui est à l’intérieur de ce corps; la somme de ses organes. Pour les compagnies et la publicité nous sommes un intestin que l’on va pouvoir nourrir, un pied que l’on va chausser…", explique l’artiste.

Comment résister à cela? "Si tu es pleinement vivant, tu es résistant. Quoique je croie plus à la connivence qu’à la résistance." Il parle aussi d’un besoin d’être en liaison avec le monde, avec les autres: "On n’est pas seul pour créer. La signature, j’y crois pas vraiment. On est toujours dans un travail collectif."

Là encore, la technologie ne semble pas poser de véritables problèmes. Ses photos le montrent démultiplié grâce à la magie des transformations de l’image. Lui non plus ne tombe pas dans une critique facile du monde moderne. Tout comme Xavier Veilhan, pour qui même la technologie, telle la manipulation des images par ordinateur, "ne change pas la question des apparences et de l’artifice, et n’est qu’une prolongation du travail d’artistes anciens…" Pour lui, "la technologie n’est pas un danger mais une opportunité, une manière d’accentuer des effets de présence du corps". Cela est parfois très réussi comme dans sa pièce intitulée Les Hommes nus où un panneau lumineux qui dégage une grande chaleur irradie comme une source de vie.

Mise au jeu
Au bout du compte, c’est la notion de fiction qui semble émaner de la majorité des oeuvres. Quel que soit l’impact des sciences sur nos sociétés, ce sera par l’invention de nouveaux récits que les individus y trouveront une place viable. Les photos de Janieta Eyre sont à cet égard exemplaires. Elles montrent des jeunes filles étrangement costumées et qui semblent jouer comme des enfants ou comme des acteurs d’une pièce dadaïste.

L’identité s’y révèle une invention, un jeu à la fois joyeux et macabre, un pied de nez de la vie à la mort.

Jusqu’au 2 septembre
Au Musée d’art contemporain