Picasso érotique : Le savoir par le sexe
Arts visuels

Picasso érotique : Le savoir par le sexe

Le Musée des beaux-arts s’intéresse à la sexualité avec la présentation de l’exposition Picasso érotique. Qui a dit que les musées étaient des lieux ennuyeux?

Cunnilingus, fellation, masturbation, pénétration vaginale en position du missionnaire ou en levrette, sodomie (pratiquée sur un artiste par un critique!), tribadisme, ici et là quelques baisers à pleine bouche, scènes de bordel, dépucelage, voyeurisme… Non, ce n’est pas le scénario d’un film porno mais la nomenclature de quelques-unes des activités sexuelles exhibées dans les oeuvres de l’expo Picasso érotique au Musée des beaux-arts. Pour ceux qui croient que les musées sont des lieux ennuyants…

Il ne s’agit pas là d’une simple expo de plus sur un des monstres sacrés de l’art moderne. Il y a un vrai propos intellectuel dans cet événement, et il est de taille. Car, malgré ce que le titre pourrait laisser entendre, c’est plus qu’une affriolante présentation d’images sexuelles signées Picasso. Tout le monde savait déjà très bien à quel point le maître était fasciné par le sexe dans sa vie et dans sa création. Comme beaucoup de gens ou d’artistes d’ailleurs… À l’évidence, et selon son propre aveu, la sexualité a joué un rôle plus grand que simple thématique ou obsession dans la recherche esthétique picassienne.

L’intelligence de cette expo réside dans le fait qu’elle permet une lecture de la démarche créatrice de Picasso avec l’expérience sexuelle comme moteur, comme outil de déconstruction de l’art figuratif et de production de l’art moderne. Rien de moins. Une idée brillante.

Il y a des moments dans cette expo où le regard ne sait plus vraiment ce qu’il voit. Ici un sein pourrait être une couille, un cou tendu de plaisir, une verge gorgée de sang… Les couples y sont enlacés, leurs corps s’interpénètrent au point qu’ils ne font plus qu’un et qu’ils semblent eux-mêmes ne plus savoir ce qui est à l’un ou à l’autre! Belles représentations de l’extase sexuelle. Mais aussi belle façon de faire comprendre au spectateur comment la manière "réaliste" de représenter le corps humain ne correspond pas à la réalité sensorielle que tout un chacun expérimente. Picasso a participé à cette révolution du 20e siècle artistique qui a proposé une nouvelle manière de dire le corps à l’opposé de l’ordre et de la stabilité des formes humaines de l’art ancien. Le corps y semble souvent malléable, transformable par le monde qui l’entoure et surtout par les rencontres avec les autres.

Et cette vision, Picasso l’a élaborée tout au long de sa vie. Il a poursuivi avec intensité l’idée d’un savoir du monde passant par une expérience du corps sexué. Le visiteur trouvera ainsi des peintures, et des dessins de toutes les époques. De sa période bleue, en passant par celle des Demoiselles d’Avignon – non pas celles de la ville du palais des Papes mais plutôt celles de la rue du même nom à Barcelone, connue pour ses prostituées -, jusqu’à ses dernières pièces, longtemps mal acceptées par la critique mais qui sont de plus en plus appréciées. Un événement majeur.

Je lui ferais cependant un reproche: cette expo a tendance à replier trop rapidement l’oeuvre d’art sur la vie de l’artiste… Cela débute par une galerie – non exhaustive – de portraits photographiques des femmes du maître. Et il ne s’agit pas que d’une simple concession faite au large public pour rendre l’événement plus didactique. Car la présence de la vie de l’artiste se continue tout au long du parcours. Comme si le peintre ne faisait que transposer sa vie sur le tableau. Alors qu’à l’évidence, dans ce processus de création, il y a surtout un travail d’invention de soi. Comme si le réel pouvait être pénétré, possédé à volonté. C’est presque inquiétant finalement.

Jusqu’au 16 septembre
Musée des beaux-arts

Pervertir les outils du capitalisme
L’amateur se rappellera certainement son immense camionnette Volkswagen conduite par un squelette et recouverte de maquettes de bâtiments industriels, de trains électriques portant des marchandises, de camions, grues, tracteurs et autres modèles réduits proposant une critique de l’époque industrielle… Présentée au Musée d’art contemporain lors de l’expo Culbutes au début 2000, cette pièce de Kim Adams s’intitulait justement Breughel-Bosch Bus. Il s’agissait d’une sculpture-installation digne en effet des enfers de ces deux maîtres anciens. Le train-train de l’exploitation du monde moderne y était dénoncé comme une force de mort.

À la Galerie Christiane Chassay, le public pourra poursuivre sa connaissance de l’univers de cet artiste albertain vivant en Ontario grâce à une série de dessins – encre, eau-forte, aquarelle, sérigraphie… Ce sont des projets (certains réalisés, d’autres pas) pour des pièces à Vancouver, Paris, Münster. Adams y transforme de réels camions ou fourgonnettes pour les détourner de leur usage premier. Ils sont souvent placés dans la rue et offerts au spectateur pour qu’il en expérimente l’incongruité, et ainsi réfléchisse à la fonction de toutes ces machines produites par l’ère capitaliste et occupant notre paysage contemporain. Il amène une part de désordre et de chaos dans ces machines pourtant très fonctionnelles. Des projets intellectuellement fascinants, même si parfois les dessins préparatoires sont trop proches de la gestuelle graphique pas très nouvelle des graffitistes des années 80.

Jusqu’au 1er juillet
Galerie Christiane Chassay

Canadianité
L’expo a presque déjà fait le tour du Canada. En provenance de Toronto où elle fut présentée en 99, la rétrospective du peintre paysagiste Cornelius Krieghoff a depuis fait un arrêt à Vancouver, Ottawa et Québec avant d’arriver ici à Montréal, sa destination finale. Une expo qui, selon le commissaire Dennis Reid (aussi conservateur en chef du Musée des beaux-arts de l’Ontario), montre comment Krieghoff a été à la recherche d’une certaine "canadianité" durant le 19e siècle. Et cela à travers des "représentations d’indiens et d’habitants" peuplant les paysages d’ici…

Voilà une expo qui aurait mérité une critique plus sévère du regard que Krieghoff a posé sur le Canada de son époque. Ses tableaux très souvent achetés par des canadiens anglais et Anglais de passage (au moins 350 de ses tableaux ont traversé l’Atlantique) ou même par des Américains montrent un pays, sous la neige ainsi qu’avec les couleurs flamboyantes de l’automne, peuplé des indigènes du coin (Amérindiens ou Canadiens français!). D’un exotisme total. Pittoresque à souhait! Voilà une peinture qui néanmoins parle souvent d’une classe dominée par une classe dominante.

Malgré tout, il faut souligner le très sérieux travail de recherche, de documentation et même, dans certains cas, de restauration mis en place pour cet événement. Une manière d’en apprendre plus sur les enjeux sociopolitiques d’une autre époque.

Jusqu’au 8 octobre
Musée McCord