Émergence : Prendre l’autoroute
L’îlot Fleurie revient pour une autre édition d’Émergence avec comme thème les familles. Dix jours d’art visuel, de poésie, de débats, de conférences et de pique-niques sous l’autoroute Dufferin. Famille reconstituée et moutons noirs.
C’est encore une superbe programmation que propose cette année Émergence, pour souligner le 10e anniversaire de la création de l’îlot Fleurie en 1991 par Louis Fortier. On se souvient de la semaine concoctée l’an dernier par Guy Sioui-Durand mettant l’accent sur le potentiel social de la rencontre entre l’art actuel et la fête de quartier. D’ailleurs, l’îlot Fleurie demeure, et son histoire en témoigne, un des nerfs de la guerre du contrôle de l’espace urbain; un lieu marginal et créatif, toujours sous surveillance. C’est encore dans cette volonté de lier l’art et la fête populaire que le commissaire de cette année, Bastien Gilbert, a réuni plusieurs artistes sous le thème des familles. Familles comme dans familles, genres, espèces, comme dans famille nucléaire ou air de famille.
Installations, débats, cinéma, musique, danse et poésie se succéderont sous ce thème stimulant pendant 10 jours. Patrick Beaulieu, Philippe Côté, Christopher Varady-Szabo et les soeurs Couture produiront des oeuvres éphémères dans le jardin de sculptures. Les soeurs Couture ont d’ailleurs déjà commencé les travaux, explorant habilement le thème de la famille puisqu’un oncle leur livrera sur place la pelle mécanique de leur grand-père. Elles transformeront ensuite la machine à leur guise. Le samedi 18 août, on pourra voir Les Enfants prodiges, une soirée de performances réunissant les Philippe Côté, Pierre Beaudoin, Claudine Cotton, Madeleine Doré, Louise Dubreuil, Patrice Duchesne, Suzanne Joly et Nathalie Derome. Certains artistes interviendront dans la ville, d’autres dans l’espace même de l’îlot Fleurie. Le mardi 21 août, c’est sous le thème de la chicane de famille que se déroulera un débat-conférence sur les projets autoroutiers de Québec, Montréal et Hull. L’artiste Philippe Côté questionnera l’espérance de vie de l’autoroute Dufferin. Interviendront également Ann Bourget de Vivre en ville, le géographe Marc Boutin, Pierre Brisset du GRUHM et un citoyen de Hull, Mario Desbiens.
L’îlot Fleurie demeure un espace alternatif et populaire, mais il a déjà été d’une forme, disons… encore plus radicale. Et, puisque c’est son 10e anniversaire, osons une interprétation de sa petite histoire! En 1991, Louis Fortier avait planté des fleurs afin de pallier les délabrements d’un lopin de terre au centre-ville (entre Saint-Vallier et de la Chapelle). Des gens y viendront jardiner; d’autres installer des sculptures. À ce moment-là, les espaces réservés au potager et aux artistes ne faisaient qu’un. Lors de l’expulsion en 1997, on a séparé le potager, devenu aujourd’hui un jardin communautaire, du jardin de sculptures, créant ainsi deux espaces géographiques distincts. On connaît la suite: le terrain qu’occupaient d’abord les gens de l’îlot sur Saint-Vallier a été vendu au groupe de promoteurs Arago. L’opération est un succès.
Si cette séparation entre le jardinage et l’art semble a priori parfaitement anodine, elle apparaît à la lumière des réflexions de Guy Debord (1931-1994) sur l’urbanisme (La Société du spectacle, 1967) exemplaire de la division de l’espace urbain pour le maintien de l’ordre. Et l’organisation des villes nous en fournit des centaines d’exemples. C’est vrai qu’il est difficile de faire pousser des légumes sous une autoroute, c’est vrai que jardiniers et sculpteurs ont des intérêts différents, mais cette spécialisation généralisée, dont la critique est peut-être encore possible, ne contribue-t-elle pas au contrôle, par lequel isolés, nous nous soumettons plus facilement à l’ordre établi, aux diktats de l’économie, de la consommation? Ne pas mélanger le jardinage et la sculpture ne serait donc pas si banal; comme on sépare l’art de la vie, en somme.
Du 17 au 26 août 2001
À l’îlot Fleurie
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Bloc-notes
Zone Art
Vous avez sûrement aperçu les grandes fresques couvrant certains piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur le boulevard Charest. Deux groupes s’y affairent depuis un certain temps, dont le groupe Zone Art enr., des artistes autodidactes qui ont travaillé tout l’été à couvrir le gris du béton. Si cette esthétique du trompe-l’oeil, quoique toujours fascinante, demeure fort discutable, l’élaboration de l’iconographie, quant à elle, est étudiée de plus près. Le projet, financé notamment par le Fonds jeunesse, laisse aux concepteurs le champ libre, à condition d’éviter les sujets politiques, sexuels et vulgaires. N’est-il pas vrai que la contrainte stimule la créativité?