Le Mois de la photo : L'image du pouvoir
Arts visuels

Le Mois de la photo : L’image du pouvoir

Petite année pour le Mois de la photo 2001. Et ce, malgré les 37 événements qui à travers Montréal en composent la programmation. Après une édition 99 plutôt forte -avec d’excellentes pièces de Rineke Dijkstra, Pelle Kronested, Mireille Loup, Alain Paiement – c’est d’autant plus  décevant.

En partant, le thème, cette année, apparaît fourre-tout. Qu’a-t-on voulu défendre comme point de vue sur la photo avec ce titre très général: Pouvoir de l’image? Que les images qui nous submergent ont un impact prédominant sur nos comportements sociaux ou, qu’au contraire, leur prolifération crée une absence de vrai regard, une indifférence du spectateur? C’est en gros les deux hypothèses énoncées dans la brochure de présentation. Mais c’est aussi ce que tout le monde dit et dénonce à qui mieux mieux…

Beaux clichés pour la photo! À la conférence de presse et au vernissage, un certain malaise était d’ailleurs perceptible dans les propos de la directrice Marie-Josée Jean qui insistait sur le fait que ce titre n’est "pas un thème mais plutôt une problématique", une question qui débouche sur "les pouvoirs des images"…

Beau flou artistique! Et qui énonce qu’il y a autant de possibilités d’agir par l’image qu’il y a d’artistes! Certes, les textes du catalogue sont plus poussés – en particulier, celui d’Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, qui traite du rapport entre le pouvoir et l’image avec comme exemple la guerre du Golfe et l’affaire Monica Lewinski -mais cela est loin d’être ressenti dans l’ensemble des présentations.

La lenteur du regard?
Au Marché Bonsecours, dans les quatre expos au coeur de cet événement, on ne retrouve pas un point de vue plus tranché et plus original sur le sujet. Il aurait fallu se concentrer sur un aspect de cette problématique de l’image et du pouvoir, par exemple, en discutant plus du détournement du système publicitaire par les artistes contemporains. On le ressent dans le format des projections vidéo, digne d’un panneau de publicité… Mais est-ce le propos que les organisateurs voulaient souligner?

Ici et là s’énonce aussi l’idée de lenteur, le fait qu’il faille ralentir le spectateur ou le flot des images que nous consommons pour mieux regarder… Dans cette catégorie, on placera la pièce de Jonas Dalhberg, un lent travelling ne menant nulle part; ou les pièces de Mark Lewis, dont l’excellent vidéo Centrale montrant un homme et une femme en train d’attendre dans la rue. Là, le visiteur ressentira un malaise visuel qui l’obligera à interroger sa manière de voir. Mais la lenteur n’est pas plus une garantie absolue d’intelligence que la vitesse, celle par exemple de consommation du monde que prônaient les modernes du début du XXe siècle.

En fait, la vraie question que l’on devrait se poser est de savoir si les images contestent le pouvoir. Quel est le répertoire des tactiques mises en place par les artistes actuels pour s’attaquer aux systèmes de représentations du pouvoir? Malheureusement, on ne sent pas le développement de ce propos au Marché Bonsecours, et ce, malgré de belles pièces comme celle de Lene Berg intitulée 33 minutes et qui à travers un match de boxe interroge la masculinité et son rapport à la force et aux échecs.

En réalité, le spectateur aura du mal à comprendre ce qui unit ces différentes créations. Des sous-titres de sections ou des textes explicatifs auraient pu clarifier le propos bien éparpillé.

De plus, le visiteur sera en droit de questionner l’omniprésence de la vidéo. Serait-ce que la pulsion du regard que la photo a représentée serait maintenant reprise par le système de la vidéo? Et que la lenteur de l’image (avec le ralenti que l’on trouve sur les magnétoscopes) s’énonce plus facilement par ce médium? Heureusement, à mi-parcours de ce Mois de la photo, deux galeries sauvent la mise.

Interroger le pouvoir
Chez Vox, le spectateur appréciera fortement le travail à la fois drôle et intelligent du Français Alain Declercq. Celui-ci, bien qu’il ne souhaite pas voir dans son approche de l’art un aspect gauchiste – "ce serait réducteur" – réalise un travail politique original, ce qui est rare.

Declercq voulait montrer les lieux du pouvoir. Mais il n’a pas choisi d’exhiber des images de banques ou de sièges sociaux… L’artiste s’est promené la nuit avec un immense système de projecteurs monté sur un camion pour aller photographier, à la dérobée, les riches demeures de Westmount. Imaginez la scène! Ces propriétaires dorment paisiblement du sommeil des justes ont été soudainement réveillés par une lumière aveuglante projetée dans leurs fenêtres. Un faisceau lumineux digne d’un vaisseau extraterrestre venu les kidnapper… Il y a dans ce dispositif de Declerq des éléments qui rappellent les interrogatoires policiers comme on les montre dans les films de série noire avec une lampe braquée sur les yeux de l’inculpé pour qu’il avoue ses crimes.

Les images ainsi obtenues sont exposées chez Vox mais seront aussi placardées à travers la ville en affichage sauvage. La discrétion bourgeoise va-t-elle apprécier?

Toujours chez Vox, ne ratez pas le film de la Suédoise Ann Sofi Sidén. Vous y verrez le travail d’une femme psychologue filmant et surveillant une femme enduite de boue, une métaphore de l’inconscient. Le système obsessionnel scientifique y est interrogé. Jusqu’au 6 octobre. Galerie Vox
La fourmi et le bulldozer
Vous ferez aussi absolument le tour de l’événement Du lien social monté par Pierre Blache. Une des réussites de ce Mois de la photo. Blache renoue avec l’idée d’un art qui sert au public. Il reprend pour la photo ce rêve de la fin des années 60 que la vidéo a incarné. Lorsque la caméra vidéo transportable a été inventée, il y avait dans le milieu le désir d’en faire un outil social qui rendrait la parole à la population en général.

Anne-Marie Louvet a réalisé à la Galerie Clark un travail documentaire d’une grande intelligence, mais aussi d’une minutie digne d’une fourmi. Il traite du rachat de l’immeuble abritant la Galerie Clark sise sur la rue du même nom. Les artistes qui l’occupent vont en être expulsés pour laisser place à des condominiums de luxe. Les bulldozers sont presque à leur portes, d’illégaux avis d’expulsion auraient été émis. Louvet, avec ses moyens d’artiste, tente de lutter contre ce système de spéculation immobilière et a rencontré une majorité de locataires de ces lieux. Pourrait-on croire que l’art permet encore la lutte des classes? Avec des photos et des vidéos, elle donne la parole aux individus, mais elle leur a également permis de se rencontrer. Elle a joué le rôle de catalyseur dans un groupe qui commençait à être démotivé.

Existe-t-il encore un art de gauche engagé? "Oui, et il doit parler de l’aspect social, humain, économique, politique, et doit être en contact avec une réalité humaine", répond-elle avec conviction. Son propos est très crédible, tout comme son travail. Et ses images servent concrètement puisque déjà dans les procès qui opposent les locataires aux propriétaires, elles ont été utilisées comme preuve…

Emmanuelle Léonard a, quant à elle, publié un journal distribué gratuitement dans des divers lieux, dont la Galerie Clark. Dans l’oeil du travailleur donne à voir des images réalisées par des individus dans leurs lieux de travail. Comme le fait remarquer Léonard, rares sont les photos à montrer de tels endroits. Cela donne une suite de surprenantes images choisies par l’artiste et laisse presque sur l’impression qu’on est revenu aux beaux jours du syndicalisme. Très fort.

Même si elles sont moins réussies, les interventions de Minna Heikinaho (au 90, rue Sainte Catherine Est) et de Gu Xiong (boulevard Saint-Laurent, dans le quartier chinois) valent aussi le détour. Gu Xiong a mis en place des banderoles qui soulignent l’apport des Chinois à la culture d’ici. Intéressant visuellement, mais cela fait vraiment trop penser à des campagnes de sensibilisation aux communautés ethniques et aux affiches contre le racisme que l’on voit depuis 20 ans. Jusqu’au 14 octobre. Galerie Clark. Voir calendrier Arts visuels.