Mois de la photo : Culture physique
Dans le cade du Mois de la photo, une exposition s’attaque à la problématique de l’identité masculine à travers un de ses symboles les plus persistants: le complet.
Comment déconstruire et modifier le pouvoir masculin traditionnel qui de nos jours domine encore en ayant toujours sa fonction normative? Comment subvertir et transformer ses codes de représentation stéréotypés? Bien difficiles questions.
Une expo à la maison de la culture Plateau-Mont-Royal peut nous offrir quelques pistes ou tout au moins quelques éléments de réflexion à ce sujet. Les trois artistes qui y exposent – les Suédoises Maria Friberg et Annika Larsson ainsi que le Suisse Olivier Christinat – s’attaquent à cette problématique de l’identité masculine à travers un de ses symboles les plus persistants: le complet pour hommes.
Une idée intéressante au premier abord. Le costume de travail des hommes d’affaires vaut pour tous les autres portés par les hommes investis d’autorité: policiers, militaires… Mais est-ce vraiment en montrant ces symboles du pouvoir revêtus par des individus que l’on peut véritablement en renverser l’autorité? C’est la question que l’on se doit de poser devant ces images mais aussi, du coup, devant celles produites par d’autres artistes. Comme celles de la célèbre Vanessa Beecroft, qu’on a pu voir dans le cadre de Métamorphoses et clonage au Musée d’art contemporain. En faisant poser des hommes en costume – ou des militaires comme Beecroft le fait -, dénonce-t-on un certain type de pouvoir monolithique ou au contraire en renforce-t-on la structure? Montrer un homme en complet, ce n’est pas montrer un homme travesti ou un homme enchaîné dans une relation sadomaso comme le fait Mapplethorpe! Alors, cette expo ne serait qu’une subversion soft?
Des trois photographes présentés, c’est sans nul doute Olivier Christinat qui tire le mieux son épingle du jeu. Ses photos montrent souvent des hommes dans des situations de contacts physiques, se serrant la main, se donnant l’accolade, se tenant par les épaules, ou même s’enlaçant dans une étreinte presque sexuelle. Cette dernière image rappelle d’ailleurs les chaudes embrassades que les sportifs accomplissent souvent lorsqu’ils gagnent un match ou comptent un but. Le tout finissant bien sûr sous la douche… Tout cela évoque cette image déjà vieille de 20 ans de Barbara Kruger montrant des hommes se bousculant et sur laquelle on peut lire la phrase suivante: "You construct intricate rituals which allow you to touch the skin of other men"… Même si le propos n’est pas nouveau, la démonstration est, cependant, impeccable: les contacts physiques entre hommes demeurent encore de nos jours très réglementés, pour ne pas dire réprimés.
Pour cette raison, on aimera aussi assez bien le vidéo Driven de Maria Friberg. Au ralenti, on y voit des hommes se battre… à moins qu’ils ne fassent autre chose. De Friberg, cependant, est bien moins réussi le vidéo Confront me back, ou bien ces photos montrant des hommes en complet noir flottant dans des eaux bleues. Malgré ce que dit le texte du catalogue, on y voit qu’une bien anodine féminisation (qui serait présente par une attitude d’abandon et de passivité…) du masculin. De nos jours, cela ne peut avoir qu’un impact bien faible. Quant au vidéo Perfect Game de Larrson montrant des hommes en train de jouer au mikado, il représente une infantilisation facile du corps masculin qui fait juste sourire. Pas de grande révolution de moeurs en vue…
Jusqu’au 7 octobre
Maison de la culture Plateau-Mont-Royal
Portrait de famille
Je dois avouer que la plus récente exposition du photographe Evergon m’a dérangé. Non pas à cause de la nudité du sujet: une femme très âgée. Le corps vieillissant a déjà été traité par d’autres – entre autres par Donigan Cumming avec son modèle Nettie – et constitue à l’évidence depuis l’art hellénistique un sujet de réflexion pertinent. Et avant de crier à l’exhibition malsaine dans un monde moderne où les images banaliseraient tout, on devra regarder attentivement l’histoire de l’art…
Evergon donne à son sujet un très intense effet de présence avec un format presque monumental qui rend tous les détails de la chair plus que visibles, magnifiés et "exorbitants" – c’est le mot. Mais là ne réside pas le malaise. Dans cette série Margaret and I, la mère de l’artiste Margaret Lunt a posé pour son fils. Et c’est cela qui est gênant.
Et même si, bien évidemment, c’est à sa demande que les photos ont été réalisées. Âgée, ayant perdu un fils du sida et son mari étant mort, cette femme a demandé à son dernier fils ces photos pour, peut-être se rapprocher de lui, faire partie de son univers artistique, de sa famille spirituelle. Mère et fils sont, selon le propos d’Evergon, comme des survivants…
Et cela on le ressent bien, en particulier dans les deux photos formant The Maid and the Cat Are Dead , qui parodient L’Olympia de Manet et donnent un sentiment de complicité malgré le vide qui les entoure. Mais il est bien dérangeant de se trouver ainsi le témoin d’un contrat de vie et de mort qui unit le parcours de vie d’une mère avec son enfant. Il y a dans cette présentation une intimité qui blesse le regard, comme si une introspection psychanalytique était criée à tue-tête publiquement. À mes yeux, il manque dans ces images une distance normale entre générations.
L’expression portrait de famille n’aura plus jamais tout à fait le même sens.
Jusqu’au 13 octobre
Galerie Trois Points
Photo de groupe
Ève Cadieux, Éliane Excoffier, Olivier Thieffry et Olivier Vanderaa sont présents à la Galerie Observatoire 4, mais ne cherchez pas pour autant leurs photos… Vous ne les trouverez pas puisqu’ils ont travaillé en un projet collectif sur la notion de la ville. Même si je sais bien que c’est l’ensemble qui prévaut, je me permettrai de signaler la valeur de quelques-unes des images de ce paysage urbain créé à huit mains. Soulignons la grande qualité des textures de cette photo à l’entrée de l’expo et qui donne à voir un espace de béton rayonnant d’une lumière intense. Tout comme est très réussie l’oeuvre montrant une tête dont on ne voit que la chevelure se détachant sur un fond rouge; et une autre, un peu floue, avec le mot "bar". Un intéressant travail poétique d’associations d’images.
Je dois dire cependant que j’aime beaucoup moins les structures de métal portant des images transparentes. Au centre de la galerie, elles se dressent comme des tours miniatures. Construction trop littérale pour parler de la ville.
Jusqu’au 29 septembre
Galerie Observatoire 4