Raphaëlle de Groot : Le devoir de mémoire
Pour la réouverture du Centre d’histoire de Montréal – fermé depuis décembre 2000 – l’artiste RAPHAËLLE DE GROOT signe, pour notre bonheur, une expo qui parle avec justesse de l’expérience humaine. Pas celle des grands hommes ou des héros qui transcendent la banalité de la vie, mais celle vécue par les petits, les oubliés, ceux qui n’ont habituellement pas de place dans la Grande Histoire.
Après des rencontres avec des religieuses hospitalières de Saint-Joseph et des usagers de la Bibliothèque centrale, Raphaëlle de Groot poursuit son travail d’enquêteuse de la mémoire collective, cette fois-ci auprès des aides ménagères.
Majoritairement des femmes, ces aides se sont occupées dans diverses familles d’élever les enfants, de soigner des personnes âgées… Elles ont été plus que vitales pour le bon fonctionnement de nos sociétés et de nos cités. En 1930, à Montréal, elles étaient 20 000 pour une population totale de 800 000 habitants…Mais elles n’ont malheureusement reçu que peu de crédit pour leur travail.
En entrant dans cette expo, le visiteur sera peut être un peu surpris. Ici rien de spectaculaire dans le dispositif de présentation. Pas de tableaux ou de photos surdimensionnées, pas de sculptures monumentales placées au centre de la salle, pas non plus de représentations de la souffrance s’étalant avec ostentation comme l’art contemporain nous a habitués à en voir si souvent. Quelques poupées montrant des scènes du quotidien dans des présentoirs et plusieurs petites photos sur les murs occupent l’espace avec discrétion. Juste des haut-parleurs diffusant des sons de voix viennent rompre la quiétude du lieu. Mais, là encore, rien qui évoquerait des discours politiques tonitrués, mais des murmures qui sonnent comme des conversations et des confidences.
Mais justement avec Plus que parfaites, Chroniques du travail en maison privée, 1920-2000, De Groot interroge la mémoire silencieuse de ces femmes. Elle a réalisé une trentaine d’entrevues qu’on peut entendre dans l’expo, une véritable musique composée par la parole de ses femmes.
Grâce à ses rencontres, de Groot a pu recueillir plein de documents, dont des photos, ce qui a permis de constituer l’expo et un livre cosigné avec la sociologue Elizabeth Ouellet. Le tout forme une formidable source d’informations sur le sujet. Une occasion d’apprendre une grande quantité de choses sur ces femmes et leur histoire: la fondation de l’Association de défense des droits du personnel domestique de Montréal, en 1976, qui dénonçait l’exploitation de ces travailleurs; l’inclusion de ce type de travail dans la loi du salaire minimum en 1980, sous le gouvernement péquiste…
Dans l’expo, on aura droit à des témoignages parfois touchants, comme celui d’une femme qui raconte comment dans sa jeunesse il y avait peu de possibilité pour les filles d’aller à l’école. D’autres sont plus joyeux, tel celui de Ginette Noël, pour qui "quand on a du coeur ça nous revient". Aînée d’une famille de 10 enfants, elle est devenue, après avoir été aide-ménagère, une représentante syndicale importante. Pour elle, "dans les deux cas, il s’agissait de rendre service"!
Avec de Groot, l’art est vraiment politique.
Vous profiterez de cette visite au Centre d’histoire pour regarder l’installation photo d’Alain Paiement, réalisée dans le cadre du 1 % du budget de réaménagement de ce bâtiment. Peut-être un peu trop petite pour l’espace, cette pièce représente elle aussi judicieusement la mémoire collective puisque Paiement a photographié tous les objets qu’il a trouvés à l’intérieur d’une fonderie du Vieux Montréal qui a, depuis, brûlé.
Jusqu’au printemps 2002
Centre d’histoire de Montréal
Les limites de l’image
Sujet bien délicat que celui abordé par l’artiste Alfredo Jaar dans cette expo, dont il est le commissaire et le metteur en scène. Son projet Inferno et Paradiso veut rendre tout son pouvoir à l’image dans une société qui serait noyée dans une mer de clichés qui ne nous affecteraient plus…
Pour se faire, Jaar a demandé à 18 photo-reporters des quatre coins de la planète de lui fournir deux images, d’une part "celle qui a été la plus difficile à produire, qui leur a causé le plus de douleur et d’angoisse" et de d’autre part "celle qui leur a apporté le plus de joie au cours de leur carrière". Voilà qui aurait dû être exemplaire, un outil de réflexion sur le sens la vie avec ses extrêmes comme limites. Malheureusement, de grands reporters ne sont pas nécessairement de grands philosophes. De plus, c’est plutôt les limites du médium photo qui se trouvent ici dévoilées. En bout de ligne, une leçon d’humilité pour les systèmes de communication actuelles, mais aussi pour l’histoire de l’art et des images en général.
Au-delà du fait que l’on peut y voir plusieurs photos intéressantes du point de vue visuel et documentaire, qu’apprend-on dans cette expo sur le bonheur et le malheur dans cette présentation qui souhaite égaler Dante? Côté paradis, on a plusieurs naissances et des gens qui se baignant dans des océans ou des lacs… Côté malheur, beaucoup de morts et plusieurs catastrophes qui, à l’exception d’une image, sont toujours hors de l’Occident qui pourtant a aussi son lot de pauvreté, de maladies, de morts du sida, de suicides chez les Amérindiens, de sentiments d’impuissance devant la violence aveugle de Dieu et des hommes… Mais bon, devant l’horreur il n’y pas peut être pas de compétition.
Devant ses images, le visiteur sera aussi en droit de se demander s’il n’est pas trop exigé des images. Peuvent-elles à elles seules être les garants de la conscience collective et de la morale humaine? À l’évidence, non. Les images demandent un environnement social et politique, un contexte de présentation et de réception. À une époque où les idéaux de gauche s’amenuisent, il est bien difficile de croire que les images peuvent être plus fortes que les idéaux de droite qui l’emportent souvent.
Jusqu’au 14 octobre
Maison de la culture Frontenac
Rétroviseur
À la Galerie Liane et Dany Taran du Centre Saidye Bronfman, la commissaire invitée Martha Lagford propose un expo sur la photo réunissant des images d’une bonne majorité des meilleurs photographes canadiens. Tous traitent de l’usage de miroir ou de réflexion dans l’image photo. Un joli sujet, même s’il est un peu académique, comme on le dirait de la peinture, à laquelle d’ailleurs cette expo emprunte son thème, puisque le miroir a été un instrument de réflexion et de déconstruction du médium pictural bien avant que de l’être pour la photo.
Néanmoins, voici une petite histoire de la photographie canadienne et québécoise qui a au moins la grande vertu de nous présenter plusieurs images de qualité. À voir pour Laura Letinsky – Laura and Eric, dress -, Clara Gutsche, Suzy Lake, Evergon, Raymonde April…
Jusqu’au 4 novembre
Centre des arts Saidye Bronfman