Zone libre : Laboratoire artistique
Le Musée des beaux-arts de Montréal confirme que l’art contemporain occupera encore une place importante avec l’inauguration d’une nouvelle salle. Toujours au MBA, des expositions de gravures de Piranèse et de Goya, ainsi qu’une autre expo, plus branchée, des frères Jake et Dino Chapman valent le détour.
Un nouvel espace d’expérimentation en art contemporain est né à Montréal. Il ne s’agit pas d’une galerie parallèle ou même d’un centre d’artistes autogéré, mais bien de la salle Zone libre du Musée des beaux-arts (MBA). Une manière d’installer une nouvelle et saine compétition avec l’espace "projet" du Musée d’art contemporain, qui, soit dit en passant, n’a pas toujours été ces derniers temps à la hauteur des attentes?
Selon Stéphane Aquin, conservateur de l’art contemporain au MBA, "l’art contemporain a une place de grande importance au Musée avec des rétrospectives, comme celle de Françoise Sullivan prévue pour 2002; avec l’intégration d’art contemporain dans des expos historiques, comme ce fut le cas avec des pièces de Tony Oursler ou Cindy Sherman dans le cadre de l’expo Hitchcock; ou avec le réaménagement du troisième étage qui permettra dès la mi-novembre de présenter des installations de Michael Snow, Pipilotti Rist…"
Il faut dire que ce musée a depuis longtemps l’art actuel dans sa tradition. Dès 1949, cette institution ouvrait une salle – la Galerie XII – dédiée à la peinture moderne, celle qui se faisait à l’époque. Parmi bien des artistes, Borduas y a exposé ses oeuvres.
Avec Zone libre, Stéphane Aquin nous promet une programmation originale. Sont déjà prévues les prestations du jeune Albertain David Hoffos, en février, puis une toute nouvelle pièce sonore du Montréalais Jean-Pierre Gauthier, pour le mois de mai.
C’est à l’artiste français Henri Foucault que revient le privilège d’inaugurer cette salle. Dans son installation intitulée Vie secrète, il nous montre un visage de femme en gros plan avec des expressions qui évoquent celles d’actrices de cinéma. Anna Karina ou Liv Ullmann dans des films de Godard ou de Bergman lui servent de modèles. Et si les ports de tête, les regards, les attitudes faciales dans la vie étaient prédéfinies par le cinéma? Pourtant, d’un seul coup, cette femme fond en larmes comme si elle ne pouvait plus soutenir son image. Moment de vérité ou ultime artifice? Foucault laisse le spectateur dans cet état ambigu où les traits d’un visage, même scrutés avec une lentille de caméra et ensuite magnifiés par la projection, restent malgré tout opaques. À voir.
L’art de la gravure
Toujours au MBA, vient de débuter des expos de gravures de Piranèse, de Goya, ainsi que des frères Jake et Dino Chapman.
Certains seront peut-être réticents à aller voir des eaux-fortes en noir et blanc datant des 18e et 19e siècles… Ce serait pourtant une erreur que de rater cette présentation. Certaines des planches représentent une inventivité formelle exceptionnelle. En particulier, celles de Goya méritent à elles seules la visite. Si Piranèse semble pompeux – même quand il devient plus lyrique avec ses vues de Rome agrandies et peuplées de personnages lilliputiens, écrasés par la grandeur de la Rome antique et contemporaine -, Goya demeure toujours un artiste surprenant. Revoir son travail pour vrai, et non dans des livres, permet de constater à nouveau sa maestria.
Et puis, pour les plus branchés, la présentation du travail des frères Chapman, deux young British artists parrainés par la collection Saatchi, constitue une occasion de contempler une production inspirée de l’art de Goya, allant même jusqu’à le vampiriser… Et cela, même si leur esthétique est parfois très adolescente. L’hémoglobine y énonce plus une manière de jouer avec quelque chose d’un peu dégoûtant qu’une réelle prise de conscience de la mort. Et puis la croix nazie, bien qu’elle soit un symbole de l’horreur, n’est pas en elle-même suffisante pour faire ressentir l’insoutenable réalité des camps de concentration. Les Chapman en font pourtant un usage immodéré que des étudiants de première année en arts ne renieraient pas… La différence entre la représentation de l’horreur par les Chapman et par Goya est presque identique à celle qui existe entre un film hollywoodien montrant des personnages nazis caricaturés et le film Shoah de Lanzmann qui documente les atrocités des camps… Une pièce comme celle de Maurizio Cattelan montrant Adolf Hitler à genoux est bien plus efficace pour dénoncer la puissance des fascistes…
Soulignons l’impeccable présentation des gravures de la série des Caprichos de Goya. Le hasard ayant voulu que l’Art Gallery of Ontario (AGO) présente au même moment cette série à Toronto, il sera possible au voyageur se rendant en Ontario de constater comment le MBAM a soigné son expo. Les titres de l’AGO ne sont absolument pas expliqués; alors qu’ici, ils se trouvent commentés grâce à un texte de Goya lui-même qui est conservé au Prado. Cela rend le parcours plus intéressant pour le visiteur pas toujours familier avec les habitudes de vie de l’époque ainsi qu’avec l’humour grinçant de Goya.
Une merveille pour un public plus curieux.
Jusqu’au 27 janvier
Au Musée des beaux-arts