Serge Murphy : Magicien du sens
Depuis maintenant 30 ans, l’artiste SERGE MURPHY compose, avec ses installations, une ode aux formes de notre quotidien. Mais aussi, sous la poésie, il fait un pied de nez à la norme et au système de l’art.
La critique a souvent souligné l’aspect poétique de l’art de Serge Murphy. Il est vrai que cet artiste, grâce à des vidéos et à des sculptures, semble exposer la magie du monde au quotidien. Et cela depuis maintenant 30 ans, bien avant que l’art contemporain s’empare du banal, pour en faire presque une mode. Un peu comme chez Gilles Mihalcean, les objets hétéroclites qui composent les installations sculpturales de Murphy se montrent dans une sorte de suspension de leurs fonctions habituelles.
Sa plus récente expo, à la Galerie Occurrence, est exemplaire à cet égard. Assiettes, tasses, verres, casseroles, tables, nappes, chaises, cordes, fil de fer, morceaux de bois, jouets, petits riens seraient donc présents dans ses assemblages au profit de rencontres étonnantes de couleurs et de textures. Bref, une ode aux formes qui constituent notre monde journalier…
Pourtant, cette interprétation est insatisfaisante et réductrice. Et si une telle description de son travail était une manière de passer sous silence l’aspect porc-épic de sa production; une façon de banaliser sa vision du monde qui serait bien plus déroutante? Poétique, le travail de Murphy? Bien plus politique et contestataire que ça. Émettons l’amorce d’une hypothèse.
Avec ses Autels de Fortunes, qu’il présente ces jours-ci, Murphy nous montre un bric-à-brac qui ressemble à un marché aux puces où l’on recycle les restes de la société moderne. Le tout évoquant en plus les structures surprenantes du Français Facteur Cheval ou de l’Américain Simon Rodia. Ces artistes autodidactes ont construit, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des sculptures-architectures en marge du marché de l’art. Poussés par un désir incontrôlable, ils n’avaient d’autre but que de poursuivre un fantôme qui les hantait, s’attirant parfois la haine de leurs voisins qui voyaient dans ces constructions placées dans leur jardin des actes de folie ou de dangereuses constructions risquant de s’écrouler. Murphy semble se réapproprier ce type d’art hors marché, presque fou, que l’écrivain anglais Roger Cardinal a nommé "art outsider". Du coup, son travail semble comme un pied de nez à la norme et au système de l’art, et dépasse de loin la joliesse poétique qu’on lui prête un peu trop facilement.
Jusqu’au 18 novembre
Galerie Occurrence
Le rêve de pureté et de liberté
"Mies est un architecte méconnu": c’est par ces mots que Phyllis Lambert a amorcé sa conférence de presse relative à l’expo sur l’architecte Ludwig Mies van der Rohe, dont elle est le maître d’oeuvre. Après sa présentation l’été dernier au Whitney, à New York, cette rétrospective de la carrière américaine du maître, montée par le Centre canadien d’architecture, est donc enfin présentée à Montréal avant de partir pour Chicago. Un hommage à celui qui a été un modèle de pensée pour madame Lambert et pour toute l’architecture américaine de l’après-guerre.
Cette présentation retrace le parcours de celui qui a su renouveler son langage plastique après son immigration aux États-Unis, en 1938, à l’âge de 52 ans, alors qu’il fuyait les nazis. On y redécouvrira donc le célèbre Seagram Building de New York; la riche sobriété de la Maison Farnsworth en Illinois; le Westmount Square que Mies a créé à Montréal et qui, selon madame Lambert, est exemplaire de son art…
Quelle leçon en tirer? Dans ces réalisations, aux espaces ouverts et où le verre tient une grande place, s’énonce une architecture de la clarté, de la liberté, mais aussi de la victoire de la raison (entre autres sur le décoratif superficiel qui a dominé l’architecture au XIXe siècle). Voilà donc un projet de vie bien intelligent… Mais il ne faudrait cependant pas oublier les propos de l’architecte Louis Kahn qui, en parlant du Seagram Building, disait qu’il s’agissait d’une vieille dame très belle mais aussi très bien corsetée… Il pointait ainsi l’aspect un peu sec des constructions de Mies, auxquelles on reproche parfois de n’avoir que la peau et les os. Reproche quelquefois justifié envers une architecture d’une grande subtilité visuelle même si, occasionnellement, comme dans le cas de l’immense Nationalgalerie (de 2500 m2) à Berlin, où il n’y a aucun mur, elle ne semble pas toujours assez habitée.
Jusqu’au 20 janvier
Au CCA
Un travail qui a de l’étoffe
En début d’année, à la Galerie Occurrence, Claude-Philippe Benoit avait montré dans des photos d’une grande sobriété comment la force du pouvoir réside beaucoup dans la construction de son image publique. À travers ses clichés de lieux de prestige – comme celui des Nations unies ou de simples salles de conférences – mais aussi d’ateliers de tailleurs, il montrait comment l’autorité de certains groupes d’individus dépend autant des costumes richement confectionnés qu’ils portent que des décors qui les entourent.
Benoit revient avec la suite de ses images, cette fois-ci chez Dazibao. Et je dois dire que ses photos sont toujours aussi efficaces. Ici, l’opposition entre les espaces plus privés des ateliers de confection et les espaces publics des boutiques des tailleurs ajoute un supplément d’information qui justifie bien le chapitre complémentaire de cette enquête visuelle. Le spectateur appréciera cependant moins l’ajout de blasons qui ont poussé telles des excroissances sur le bord des cadres. Cela souligne un peu trop un propos dont l’intelligence résidait beaucoup dans l’impeccable simplicité des prises de vue et de la présentation.
Jusqu’au 3 novembre
Au Centre de photographies actuelles Dazibao
Turbulences
Le Musée d’art contemporain inaugure une série d’événements intitulée Turbulences. Sa programmation se veut "une plate-forme consacrée à la présentation des arts vivants". Pour l’instant, le tout s’annonce très prometteur.
Cela débute aujourd’hui, 1er novembre, à 20 h, avec la prestation de la chanteuse d’origine iranienne Sussan Deyhim, qui a composé des bandes-son pour les vidéos de l’artiste Shirin Neshat – présentement à l’affiche au MAC – et qui a aussi travaillé avec Peter Gabriel. Cela se poursuivra avec les prestations de Roger Bellemare (le 8 novembre), du danseur français Alain Buffard (les 15, 16 et 17), pour se clore (le 22 novembre) avec le spectacle multidisciplinaire de Jerry Snell et Nadine Thouin. Renseignements: (514) 847-6226 et www.voir.ca/turbulences.
Et aussi…
Une table ronde sur la notion de mémoire aura lieu à la Galerie B-312, mardi 6 novembre, à 19 h. Y seront présents: Raphaëlle de Groot (artiste qui interroge l’histoire fragile d’individus en marge, comme les aides ménagères ou les religieuses); Dominique Petit (chercheuse au Centre d’étude du sommeil de l’Hôpital du Sacré-Coeur); et Olivier Asselin (cinéaste). Renseignements: (514) 874 9423.