BGL : Zone art
Arts visuels

BGL : Zone art

Après plusieurs expos présentées dans sa Salle Projet – dédiée aux expérimentations créatrices de jeunes artistes – qui ont été très moyennes et même parfois carrément ratées, le Musée d’art contemporain (MAC) nous propose enfin une installation réussie.

Il était temps! Après la présentation faussement songée de Sylvie Laliberté, la pièce pas assez aboutie d’André Martin, celle de Stéphane Gilot qui était bien en deçà de ce à quoi il nous avait habitués – et j’en passe! -, voici enfin une présentation qui prend un risque et qui de plus est de qualité.

C’est au trio BGL, formé de Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière, que nous devons de voir la fin de cette série noire ou tout au moins grisâtre. Ces artistes de Québec qui ont exhibé, il y a maintenant presque trois ans, à la Galerie Clark, une remarquable création – dont une partie, la Mercedes de bois, est reprise ces jours-ci au Musée du Québec dans le cadre de l’exposition sur Le Ludique – ont une fois de plus su réaliser une pièce inattendue.

Cela tient premièrement au fait que BGL n’a pas essayé de faire du BGL… Au premier coup d’oeil, le bois, l’une des signatures du collectif d’artistes-bûcherons, semble presque absent. Comme si les artistes avaient voulu renouveler leur langage plastique et ne pas jouer sûr en répétant ce que le public avait déjà pu voir d’eux ailleurs. Ils ont ainsi respecté l’esprit expérimental, proche de l’essai, qu’une telle salle demande.

BGL n’a pas envisagé cette invitation du MAC comme une consécration rassurante. "On s’est pas laissé par le fait qu’on exposait dans un musée!" de dire Sébastien Giguère. Et ils ont bien fait de ne pas se laisser impressionner ou réconforter par l’institution ou l’image intériorisée que plusieurs peuvent en avoir.

Ils ont ainsi créé avec un état d’esprit et une liberté d’invention que l’on voit davantage dans une galerie d’art ou un centre d’artistes. En effet, ici, rien de "muséal". Leur installation faite d’une faramineuse quantité de boîtes de carton est un bric-à-brac inextricable, difficilement achetable par l’institution qui serait bien mal à l’aise pour la reconstituer dans le futur… Un beau pied de nez à la conservation! Cela ressemble plus à un work in progress, à un chantier de construction et de récupération qu’à une oeuvre "muséifiée", fossilisée. Le tout a un petit côté Serge Murphy bien sympathique. À l’heure où bien des artistes veulent construire une Ouvre pour l’éternité, BGL fait de l’art, un art qui va plus du côté de l’éphémère que de la pérennité.

C’est d’autant plus une oeuvre non institutionnelle que l’espace de cette salle est méconnaissable. Murs, planchers, plafonds du bâtiment ont disparu, "ensevelis", plutôt que masqués, par les empilements de cartons. Une véritable négation de l’espace blanc et souvent très vide du musée moderne!

Du coup, leur installation constitue une expérience inquiétante. Lors du vernissage, plusieurs sortaient déstabilisés par cette visite, certains même étaient un peu étourdis. Un sentiment de claustrophobie s’y développe en effet rapidement.

Dédale génial
Comme le disait très justement Danielle Legentil, en charge des relations avec la presse au MAC, le tout évoque l’ambiance du merveilleux film Being John Malkovich. Vous savez, cette merveille cinématographique qui raconte l’histoire d’individus pénétrant dans la tête du célèbre acteur en passant par une porte se situant dans un bureau. Eh bien, l’installation de BGL ressemble à ça! On commence par entrer dans une sorte de salle d’attente très propre et très IKEA, et puis on ouvre une porte et là, la magie se produit… Le visiteur s’enfonce dans un dédale, un capharnaüm, avec des zones où une fête semble venir tout juste de se terminer.

Cela évoque aussi beaucoup la Merzbau du dadaïste Kurt Schwitters, créée en 1923 telle une composition cubiste en 3D. Tout comme Schwitters, qui recyclait des objets trouvés dans la rue, BGL a recueilli toute une série de boîtes de carton dans la ville. Tout comme les espaces de BGL, la Merzbau était composée d’une suite de "grottes" où des bougies ici et là donnaient à l’ensemble des allures de Noël tout en évoquant une sorte d’église et de cérémonial religieux. Le tout créant aussi une ambiance de veillée funèbre…

Car cette oeuvre parle aussi de la mort en essayant, comme le dit Nicolas Laverdière, de "faire vivre et ressentir cela plutôt que d’en parler". Il ajoute: "Nous voulions discuter de ce qui est sous terre. On a décidé d’énoncer la mort d’une manière symbolique, les boîtes de carton parfois enveloppées servant à parler de la vie d’un être ponctuée par les cadeaux reçus aux anniversaires ou à Noël, et dont les emballages finissent comme des déchets enfouis sous terre."

Lorsque, avant de sortir de l’expo, on découvre, en montant sur une plate-forme, un point de vue qui nous fait comprendre que durant tout ce temps nous étions comme sous terre sous une rangée de sapins, on se prend pour Orphée revenant du monde des morts. Brrr!

BGL garde ses racines underground!

Jusqu’au 10 février 2002
Au Musée d’art contemporain

L’art français actuel
Après les YBA – Young British Artists -, lancés par les collectionneurs et spéculateurs de l’art Saatchi au milieu des années 90, voici les JAF – les Jeunes Artistes Français?

Avec des moyens plus humbles et des ambitions moins commerciales, la collection du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) des Pays de Loire, présentée ces jours-ci au MAC, permet d’avoir un panorama certes incomplet mais néanmoins représentatif de la création française actuelle.

Et elle est un peu plus intello que sa contrepartie anglaise. Esprit français oblige… Sophie Calle nous propose toujours un travail qui met en évidence l’écart entre texte et image, narration et expérience visuelle. Fabrice Hybert, avec son Mètre carré de rouge à lèvres, mélange un certain humour, que ne renierait pas Janine Antoni, à une réinterprétation presque féministe du monochrome. Un tableau de Bernard Frize (Oreiller) retiendra aussi l’attention. Il tente de prolonger l’art abstrait avec des "beurrées" de peinture devenues très à la mode chez des artistes médiocres comme l’Anglaise Fiona Rae ou la Canadienne Carol Wainio.

Mais cette expo est surtout la célébration d’une véritable politique de décentralisation du phénomène culturel. Les FRACS, qui ont tout juste 20 ans, sont nés à la suite de l’élection du Parti socialiste en 81 en France. Ce FRAC, modeste – comptant 723 oeuvres -, de la région de Nantes est le signe d’une belle réussite: l’art peut aussi rayonner ailleurs que dans les grands centres.

Jusqu’au 21 mars 2002
Au Musée d’art contemporain

À signaler
– Depuis 1998, le groupe de créateurs multidisciplinaires Farine Orpheline investit les "trous du tissu urbain", les espaces abandonnés ou en marge de la vie courante. Après une ancienne manufacture de papier peint en 99 et un terrain vague dans l’Est de la ville en 2000, voilà qu’ils investissent cette année un lieu assez peu fréquenté: l’hôpital Louis-H. Lafontaine. Une expérience sonore et visuelle y attend le visiteur. Cela aura lieu les jeudis, vendredis et samedis, du 22 novembre au 1er décembre, entre 17 h et 20 h, au 7401, rue Hochelaga (métro Radisson). Renseignements: 251-4000, poste 3600, ou www.farineorpheline.qc.ca.
– L’événement Des idées en mouvance, qui se veut un dialogue avec la culture de l’Inde, vient de débuter dans plusieurs galeries (Dazibao, La Centrale, Oboro, Optica, MAI). Je vous en reparle bientôt. Pour le moment, nous avons une occasion exceptionnelle d’en apprendre plus sur l’art méconnu de ce pays puisque la critique d’art indienne Geeta Kapur est de passage à Montréal. Elle donnera une conférence le mercredi 21 novembre à 19 h 30 à l’Université McGill (salle G-10, rez-de-chaussée de l’édifice MacDonald-Harrington).