Des idées en mouvance : India Song
Arts visuels

Des idées en mouvance : India Song

Après la Chine, qui prend de plus en plus de place sur le marché international, l’Inde s’ouvre à l’art contemporain. Cinq galeries – Dazibao, La Centrale, Oboro, Optica, Mai – participent à un événement qui fait un survol de l’art contemporain indien.

Le collectif canadien Hoopoe Curatorial – qui doit son nom à la huppe, oiseau qui migre entre l’Inde et l’Occident – propose ces jours-ci une série d’expositions regroupées sous le titre Des idées en mouvance: Un dialogue culturel contemporain avec l’Inde. Cinq galeries – Dazibao, La Centrale, Oboro, Optica, Mai – participent à cet événement qui donne à voir bien plus qu’une simple vision exotique de ce pays.

Un contenu politique et contestataire s’énonce souvent dans les oeuvres des artistes participants. À un point tel que certains ont voulu en interdire la présentation! C’est ce que, précisément, le haut-commissaire indien Rajnikant Varma, en poste à Ottawa, a tenté de faire l’an dernier, par des moyens plus ou moins détournés, lors du passage d’un volet de cette expo à Toronto. Des membres de l’opposition en Inde ont alors demandé le rappel du diplomate… Bien étrange situation que celle qui consiste de demander à des artistes d’être des porte-parole des politiques de leur pays!

Lors de l’exposition Culbutes, au Musée d’art contemporain en 99, l’artiste Ilya Kabakov me racontait une histoire assez semblable: il lui est souvent arrivé de se faire ouvertement critiquer pour avoir donné une mauvaise image de son pays, la Russie, à l’étranger!

Ce type d’art soulèverait-il des questions trop pertinentes?

L’art contemporain est-il devenu mondial?
Il n’y a pas qu’Anish Kapoor comme artiste indien à être présent sur la scène internationale. Chez Optica et Dazibao, il faut s’arrêter voir les vidéos du cinéaste Anand Patwardhan. Cela me semble bien proche de la tradition du documentaire québécois. J’ai particulièrement remarqué We Are Not Your Monkeys (chez Optica) qui met en scène un poème de Daya Pawar. Celui-ci dénonce le système des castes qui, encore de nos jours, mettent au ban de la société ceux que l’on appelle les intouchables. Pawar, lui-même faisant partie des Dalits – c’est-à-dire des opprimés -, retrace les fondements religieux de cet injuste système ayant soumis comme des animaux toute une classe sociale. Toujours chez Optica, les aquarelles de Bhupen Khakhar retiendront aussi l’attention, même si le style fait beaucoup penser à Francesco Clemente. Cet artiste qui, entre autres, a participé à la Documenta de Cassel en 92, a souvent traité d’homosexualité – sujet tabou en Inde. Il continue dans certains de ses dessins à parler de sexualité, hétérosexuelle cette fois-ci, avec des images inusitées. Telle celle qui montre un couple à l’occasion d’un anniversaire de mariage, alors que la femme tient dans sa main le sexe de son mari…

Il faut absolument aller admirer au Centre d’artistes pour femmes La Centrale la pièce And Tell Him of My Pain de Sheela Gowda. Son oeuvre est la meilleure de cet événement. Cette artiste, qui a longtemps travaillé avec de la bouse de vache comme matériau pictural, a entrepris une réflexion sur la place de cet animal en Inde. Que ceux qui furent choqués par le travail de Chris Ofili, présenté dans l’expo Sensation, car il utilisait du crottin d’éléphant pour parler de la Vierge Marie, réalisent enfin que l’art actuel est souvent affaire de désacralisation et de déconstruction de mythes religieux ou collectifs! Dans sa pièce à La Centrale, Gowda semble s’intéresser cette fois-ci plus aux vaisseaux sanguins et aux viscères… On y voit deux réseaux de fil rouge de dix mètres de long au bout desquels apparaissent des aiguilles. Un travail sur la douleur, sur le travail des femmes, mais qui fait aussi penser à la fabrication des tapis qui, encore dans certaines régions d’Orient, se fait dans des conditions d’exploitation totalement inacceptables. Cela évoque plusieurs sculptures de Kiki Smith comme Veines et Artères ou bien Intestin. Mais il y a aussi quelque chose de très post-minimaliste dans son intervention. Eva Esse avec ses formes organiques qui prenaient possession des espaces des galeries n’est pas loin. Une oeuvre magnifique.

Chez Oboro, là encore des aquarelles sont à l’honneur, dont celle d’Atul Dodiya. Cette fois-ci, c’est la peinture de l’Américain Mark Tansey qui vient à l’esprit comme référence. La majorité de ces oeuvres montrent le Mahatma Gandhi dans des scènes qui frôlent souvent le kitsch et la bande dessinée. Les idéaux pacifistes de Bapu ("père" de la nation) semblent banalisés dans des images d’Épinal. L’une d’elles, le montrant moustachu, semble plus évoquer le personnage Charlot qu’un modèle ayant des valeurs supérieures!

Après la Chine, qui prend de plus en plus de place sur le marché international, il est temps que l’on accorde plus d’attention à l’art indien. En espérant toutefois qu’il ne devienne pas qu’une simple copie de l’art occidental.

Je vous reparle bientôt de la suite de cet événement présenté à la Galerie du MAI.

Jusqu’au 15 décembre
Aux Galeries Dazibao, La Centrale, Oboro, Optica