Surfaces pailletées : Art sacré
Après l’art de l’Inde, dont je vous parlais la semaine dernière, voici que c’est au tour de l’art haïtien d’être à l’honneur à Montréal. Avec l’expo Surfaces pailletées: Drapeaux vaudou haïtiens, le Centre Saidye Bronfman montre un art qui, lui aussi, a des liens avec le sacré.
Un art religieux, encore de nos jours, est-ce possible? Après quelques siècles durant lesquels l’art s’est enfin libéré de l’Église, en serait-on encore là, à se débattre avec ça? Ces drapeaux ne sont pourtant pas des pièces anciennes parlant d’une époque révolue, mais bien des créations réalisées dans les 20 dernières années. Après la Vierge Marie de Chris Ofili, celle de Robert Gober, les photos kitscho-religieuses et très homo-érotiques de Pierre et Gilles, le Piss Christ d’Andres Serrano: le mysticisme serait-il de retour en force dans l’art actuel, et de plus cette fois-ci avec un respect proche de celui des images de religieuses de Clara Gutsche?
L’art au XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas!
Pas si sûr. Voici un art qui est bien loin de sa fonction première qui consistait à accompagner des cérémonies religieuses. Depuis que des collectionneurs et des anthropologues se sont mis à les acheter dans les années 50, les artistes haïtiens ont produit de ces drapeaux en dehors de leur fonction d’usage… Mais avant que de crier au détournement de sens, à la commercialisation dénaturante de valeurs supérieures, le visiteur qui ira au Centre Saidye Bronfman devra se rappeler comment l’art occidental a suivi le même parcours, et cela, plus d’une fois dans son histoire. L’art depuis la Renaissance a été un long processus de laïcisation des images. Et même dans l’Antiquité, l’art des portraits à Rome était issu des masques de cire faits sur les morts et servant pour le culte des ancêtres.
Composés de paillettes, de perles de verre brodées sur du coton et du satin, ces drapeaux pourraient évoquer un détournement du religieux mais aussi le réinvestissement du travail de couture, de broderie et de tricot que certaines artistes féministes ont voulu revaloriser depuis les années 60 (Faith Ringgold, Rosemarie Trockel…). Pourtant ici, à l’exception de deux pièces réalisées par des femmes – le travail fabuleux de Myrlande Constant et d’Amena Simeon -, toutes ces oeuvres sont le produit de mains d’hommes.
Parmi ces artistes exposés, Clotaire Bazile attire plus particulièrement l’attention. Ses pièces sont exceptionnelles. Quant à Erzulie Freda, à la fois Vierge Marie et déesse haïtienne de l’amour, créée par Benoît, elle pourrait à elle seule nous faire croire aux miracles… Ce drapeau est une merveille, absolument hors du commun.
Signalons deux événements qui auront lieu dans le cadre de cette exposition: le jeudi 6 décembre, de 18 h à 19 h 30, au Centre Saidye Bronfman (tél.: 739-2301), le public pourra rencontrer Marie-Lucie Vendryes qui parlera des objets sacrés du vaudou; le dimanche 9 décembre, de 14 h à 17 h, au Centre de créativité du Gesù, un colloque portera aussi sur le sujet en mettant en dialogue le sociologue Franklin Midy, le psychiatre Carlo Sterlin, l’anthropologue Johanne Tremblay et la chercheure Liliane Dévieux. Renseignements: 861-4873.
Jusqu’au 6 janvier
Au Centre des arts Saidye Bronfman
Une étoile s’est éteinte
Vous le savez probablement: Marcelle Ferron est morte lundi dernier à l’âge de 77 ans. Vous me permettrez de revenir un moment sur la carrière de cette artiste dotée d’un formidable charisme.
Bien sûr, on se souviendra de Ferron pour avoir défendu un art abstrait ici, mais aussi à l’étranger. Comme le souligne Réal Lussier – qui fut le commissaire de sa rétrospective l’an dernier au Musée d’art contemporain -, "elle fut parmi les premières à avoir un rayonnement plus international". Mais Ferron fut aussi importante car "elle a apporté une contribution majeure à l’art public au Québec".
En effet, grâce à ses vitraux dans les stations de métro Champ-de-Mars et Vendôme, mais également pour le siège national du Congrès juif canadien, la bibliothèque de l’Université Bishop, le palais de justice de Granby, l’hôpital Sainte-Justine, "elle fut aussi l’une des premières artistes à avoir comme souci de rendre l’art accessible au plus grand nombre, en le plaçant dans l’environnement de monsieur et madame Tout-le-monde".
Après Jean-Paul Mousseau, elle s’est intéressée à développer un langage nouveau et moderne pour un art public jusqu’alors dominé par les monuments aux morts, aux héros de la patrie ou aux rois. Une problématique assez récente dans l’histoire de l’art, qui ne donne pas que de bons résultats… Mais les interventions de Ferron, elles, tiennent le coup. Et précisément pour cela, elle occupera donc une importante place dans notre histoire de l’art.
Prix Pierre-Ayot et Louis-Comtois
Mardi dernier, la Ville de Montréal et l’Association des galeries d’art contemporain remettaient deux récompenses très prisées du milieu de l’art: le prix Pierre-Ayot, décerné à un artiste de la relève, a été décerné à Nathalie Grimard; et le prix Louis-Comtois, octroyé à un artiste à mi-carrière, est allé à Roberto Pellegrinuzzi.
Le jury était composé de l’historien de l’art François-Marc Gagnon, de l’artiste René Derouin, de la conservatrice au Musée d’art contemporain Sandra Grant-Marchand, du directeur de la revue Espace Serge Fisette, ainsi que de l’artiste Leopold Plotek. L’amateur a pu suivre Grimard à la Galerie Trois Points mais aussi, cet été, dans l’expo Métamorphoses et Clonage au Musée d’art contemporain. Pellegrinuzzi, qui n’a plus besoin de présentations – il a participé à une quantité impressionnante d’expos ici et à l’étranger -, a souvent émerveillé le public. On se souviendra entre autres de sa série Les Écorchés (à la Galerie de l’UQAM en 99) et de son extraordinaire oeuvre Tête de pont installée au canal Lachine en 2000.
Artefact documenté
Fin septembre, s’achevait au canal Lachine l’événement Artefact 2001, la première édition d’une triennale de sculptures urbaines. Ce fut une intéressante manière d’utiliser l’art comme outil de revalorisation d’un site post-industriel. Même si les interventions n’étaient pas, loin de là, toutes aussi réussies les unes que les autres, ce fut une expérience concluante.
Afin de poursuivre la réflexion sur ce sujet, voici que vient de paraître le catalogue de cette triennale. Publié par le Centre de diffusion 3D / Centre d’art public, qui a aussi permis l’an dernier la réalisation de l’excellent livre de Lise Lamarche sur la sculpture contemporaine, cet ouvrage permet de revoir les créations des divers artistes – Jean-Pierre Aubé, Pierre Bourgault, Michel de Broin, Marie-Christine Landry… Mais c’est aussi une occasion de lire des textes de Louise Provencher, Gilles Daigneault, Suzanne Paquet, Charles Halary et Jean-Claude Beaune.