Expression : Rituel pictural
Arts visuels

Expression : Rituel pictural

Vous connaissez le centre d’exposition Expression? Peut-être pas. Pourtant, ce lieu d’exposition situé à Saint-Hyacinthe est bien actif dans le milieu de l’art contemporain québécois.

Vous connaissez le centre d’exposition Expression? Peut-être pas. Pourtant, ce lieu d’exposition situé à Saint-Hyacinthe est bien actif dans le milieu de l’art contemporain québécois. Créé en 1985, il a présenté, ces dernières années, des artistes importants, telle Andrea Szilasi.

Eh bien, vous allez entendre parler davantage d’Expression au cours des prochains mois. En effet, ce centre a depuis mai dernier un nouveau directeur: Marcel Blouin, natif de Saint-Hyacinthe, revient à ses sources, et il a de grands projets. Ancien directeur du Mois de la photo à Montréal – qu’il a lancé en 89 -, Blouin a aussi été un des initiateurs du centre d’artistes VOX, un des codirecteurs de la revue CVphoto et même le fondateur du Musée virtuel de la photographie québécoise (que l’on peut visiter à partir du site de VOX à l’adresse suivante: www.voxphoto.com). Ce chevronné commissaire propose une programmation qui risque bien de faire de Saint-Hyacinthe un arrêt obligatoire du parcours de l’art.

Cet automne, Expression a déjà accueilli Yves Boucher et Sylvie Bouchard. Pour 2002 sont annoncés, entre autres, Michel Boulanger, Lorraine Simms, Michael Merrill… Et pour l’été, Blouin lance un nouvel événement intitulé L’Art gris culture. Daniel Corbeil et Isabelle Laverdière y seront présents dès l’an prochain. Un renouveau du land art en vue?

Pour l’instant, c’est au tour de la peintre Marie-Claude Bouthillier de profiter des très belles cimaises de ce centre. Au premier regard, Bouthillier ne semble pas nous présenter une expo aussi inusitée que sa fantastique installation picturale Demande à la peinture (de 97, à la Galerie Trois Points) qui avait reçu, très justement, les éloges unanimes de la critique et dont elle nous avait offert une superbe variation au Musée de Lachine en 99. Les tableaux présentés sont ici installés avec une plus grande sobriété. Pourtant, ses Peintures, dessins et quelques lettres sont absolument à voir.

Tout d’abord, car l’artiste continue ses confrontations entre de grands formats et des petits, des tableaux très colorés et des écritures noires (ses initiales mcb) sur des toiles beiges; elle embrasse, elle interroge toutes les possibilités formelles de la peinture: ici, ce sont différents types de taches qui l’emportent; là, c’est la calligraphie dans tous ses états qui s’expose. Ces rencontres créent une dynamique visuelle d’une grande efficacité.

Et puis, ensuite, car Bouthillier réalise ainsi des juxtapositions qui minent et poursuivent tout à la fois la tradition abstraite. Le tableau abstrait n’est plus ici travaillé pour sa monumentalité avec une gestuelle très puissante à la Pollock ou à la Kline. Bouthillier ramène, avec une grande humilité, le processus répétitif pictural (à travers, entre autres, l’écriture de ses initiales) à un acte presque méditatif. Elle travaille avant tout sur le faire, sur le processus du continuel retour: la boucle, la spirale, la volute hantent son travail depuis toujours. Elle n’hésite d’ailleurs pas à refaire inlassablement ses tableaux. En reprenant sans cesse une forme, elle exécute une sorte de rituel. Il y a dans tout cela comme un côté mystique très proche de l’abstraction de l’après-Seconde Guerre mondiale. Il est éclairant (et presque apaisant) de voir une aussi bonne peinture.

Au centre Expression à Saint-Hyacinthe
Jusqu’au 22 décembre

Prix Ozias-Leduc et Paul-Émile-Borduas
Novembre est décidément le mois des prix en arts visuels! Après les prix Ayot et Comtois, voici que viennent d’être remis les prix Ozias-Leduc et Paul-Émile-Borduas.

Le lauréat du prix Ozias-Leduc – décerné par la Fondation Émile-Nelligan – en surprendra peut-être certains… C’est Massimo Guerrera qui, malgré son jeune âge, reçoit cette récompense. Bien sûr, ce prix – d’une valeur de 25 000 $ – a été attribué auparavant à des artistes plus âgés: en 98 à Rober Racine, en 95 à Jana Sterbak et en 92 à Roland Poulin. Mais aux âmes bien nées… Dans ses performances, dessins, sculptures (remarquables, ses pièces étaient présentées à la Galerie d’art Leonard & Bina Ellen en 99) et installations, Guerrera sait interroger avec intelligence les interpénétrations du social et du privé.

Parlant justement de Roland Poulin, soulignons qu’il est le récipiendaire 2001 du prix Paul-Émile-Borduas. Il vient donc s’ajouter à une longue liste d’artistes: Jean-Paul Riopelle, Claude Tousignant, Marcelle Ferron, Betty Goodwin… Né en 1940 en Ontario, Poulin a grandi à partir de 1944 à Montréal.

Nous nous réjouissons que cet artiste reçoive ce prix. Poulin a souvent raconté comment il avait trouvé sa voie en tombant en arrêt devant le tableau L’Étoile noire de Borduas lors d’une visite au Musée des beaux-arts de Montréal. Il avait 22 ans et était alors graphiste adjoint dans une agence de pub. Depuis, sa vie a été consacrée à l’art et à son enseignement dans diverses institutions (Université du Québec à Montréal, Cégep du Vieux Montréal, Université Laval, Collège Brébeuf, Université Concordia et, finalement, à l’Université d’Ottawa). Même si son travail ne s’est pas vraiment renouvelé dans les dernières années, Poulin a toujours produit une oeuvre captivante. Rares sont les artistes – il y a bien sûr l’Américain Carl André – à avoir réussi à prendre possession du sol d’une galerie avec autant d’efficacité. Le jury pour ce prix était composé de Louise Dusseault Letocha (présidente), Marcel Marois, Guy Pellerin et Yolande Racine.

L’eau à la bouche
Mort en 99, juste après avoir reçu le prix Paul-Émile-Borduas, Jean McEwen est sans nul doute l’un des plus importants peintres canadiens du 20e siècle. L’expo Ouvres sur papier: 1952-1998, présentée ces jours-ci à la Galerie Simon Blais, permettra d’approfondir notre connaissance de son oeuvre en contemplant son travail d’aquarelliste. Deux ou trois pièces exceptionnelles y sont d’ailleurs à l’affiche. Par exemple, l’orangé et le jaune de Sans titre (1958) créent de superbes vibrations chromatiques.

Les historiens ont souvent souligné l’aspect très painterly, très texturé de ses tableaux. Pourtant, à voir ses aquarelles, on s’aperçoit que sa peinture joue beaucoup sur des effets de transparence et de superposition de champs colorés. La vibration de la couleur se trouve ici appuyée par les effets de flou et de mouvance, comme à la surface d’un lac ou d’un océan, de ses aquarelles.

Galerie Simon Blais
Jusqu’au 22 décembre

À signaler
Le numéro 55 de la revue CVphoto est déjà en kiosque depuis quelque temps, mais je me permets tout de même d’en souligner la parution. Le lecteur y retrouvera un portfolio de l’artiste française Sophie Calle sur la vie des habitants de Jérusalem; un autre de Shirin Neshat, avec un texte signé par l’historienne de l’art Christine Ross qui permet une lecture judicieuse de son expo au Musée d’art contemporain; ainsi qu’une critique de Mona Hakim sur l’exposition qu’Alain Paiement avait présentée chez Clark au printemps dernier. Un numéro incontournable.