Expo chez Graff : L’épreuve de l’art
À la Galerie Graff, Madeleine Forcier a invité des artistes à venir poursuivre l’idée du laboratoire et du rapport de l’art et la science qui a toujours fasciné les artistes. Un grand labo.
L’idée du laboratoire est très présente en art moderne et contemporain. Il y a, bien sûr, l’Anglais Damien Hirst avec son restaurant pharmaceutique et ses animaux baignant dans du formol; ou bien le travail du Grec Vassilakis Takis et ses tubes cathodiques montrant l’activité de photons… Au Québec, les cultures de moisissures, levures et bactéries d’Annie Thibault ainsi que le travail de recherche sur le terrain de Raphaëlle de Groot sont aussi à classer dans cet art se réappropriant l’univers scientifique.
À la Galerie Graff, Madeleine Forcier a invité des artistes à venir poursuivre cette vision du laboratoire. Le résultat? Une expo collective un peu inégale, certes, comprenant des pièces de Thomas Corriveau, Cozic, Christiane Desjardins, Julianna Joos, Alain Laframboise, Michel Lagacé, Marie-Chrystine Landry, Marc Larochelle, Raymond Lavoie, Éric Simon…
Serge Tousignant avec sa Photographie d’un photographe photographiant la femme la plus photographiée au monde: Wimbledon Boogie-Woogie et Martin Boisseau retiennent particulièrement l’attention avec des pièces intrigantes. Le premier s’inspire de l’écran d’ordinateur et du dispositif de la télévision pour réfléchir comment dans une mécanique presque voyeuriste (Rear Window de Hitchcock n’est pas très loin) se construisent les images. Le second semble nous proposer un modèle visuel de l’espace interstellaire et des trous noirs avec des moyens pauvres: ruban adhésif, verre cassé, silicone…
Mais c’est surtout la première installation du peintre Robert Wolfe, intitulée Capharnaüm, qui retient l’attention. Certes, ce n’est pas absolument nouveau, mais c’est totalement réussi… Le peintre y a recréé son propre atelier. Ce sont ses pinceaux, table de travail, tabouret, tablier, photos de son chien qui trônent ici. Il y a un petit côté Daniel Spoerri ou bien Arman – mais des années 60 – dans tout cela. Une occasion de voir cinq nouveaux petits formats, exceptionnels, de Wolfe accrochés dans l’installation. De plus, c’est une façon de connaître davantage sa manière de travailler entouré de cartes postales, d’images et même d’une photo d’un ami – Pierre Ayot. Deux petites phrases griffonnées sur des morceaux de papier valent à elles seules la présentation. On peut y lire: "Tout ce qui est possible arrive" et "J’infuse"!
Alors que l’atelier londonien totalement chaotique de Francis Bacon a été reconstitué de toutes pièces à Dublin (sa ville natale) l’été dernier et que Beaubourg a ouvert récemment l’atelier de Brancusi, on voit se dessiner de plus en plus un intérêt du public pour l’espace de création. Serait-ce une manière de diviniser encore l’artiste contemporain – ses outils devenant comme de reliques – ou au contraire de démystifier le travail créateur? Chez Wolfe, c’est heureusement la seconde hypothèse qui vaut.
Jusqu’au 22 décembre
Galerie Graff
Alexandre Castonguay à la Galerie Pierre-François Ouellette
Cet automne, une nouvelle galerie a fait son apparition à Montréal. Pierre-François Ouellette – qui a entre autres été directeur de l’Association des galeries d’art contemporain et qui a collaboré aux activités de la Galerie Optica – a ouvert un espace d’art contemporain. Il est situé, comme il se doit, dans l’édifice Belgo, au 372, rue Sainte Catherine Ouest, dans le local 216. Ce lieu rejoint donc d’autres importantes galeries telles que celles de René Blouin, Lilian Rodriguez, Roger Bellemare et Jocelyne Aumont… Malgré le départ de Clark, le quartier est encore le centre de l’art contemporain dans notre ville avec les galeries du 460, Sainte Catherine Ouest et le Musée d’art contemporain à deux pas.
À un moment où on ne peut guère dire que Montréal croule sous le poids des bonnes galeries défendant de vrais artistes contemporains – à ne pas confondre avec celles qui présentent seulement de l’art bourgeois bien encadré ou, pis encore, pas encadré pour avoir l’air branché -, l’ouverture de ce nouvel espace fait du bien.
Pierre-François Ouellette veut y "encourager une pratique ancrée dans la contemporanéité." Montrer comment l’art d’aujourd’hui n’est pas unidisciplinaire. "Ma galerie a donc une salle d’art plus expérimentale et une autre salle à l’arrière qui se veut comme un cabinet d’oeuvres sur papier", dit-il. Il y a de bonnes chances que Ouellette remplisse le mandat qu’il s’est donné puisqu’il va défendre plusieurs bons artistes aux pratiques polymorphes. Une dizaine pour l’instant dont Ed Pien (dont on a pu remarquer l’installation de dessins à la dernière Biennale de Montréal), Johannes Zits, Karilee Fuglem, Rose-Marie Goulet… En novembre, Ouellette nous présentait le travail d’Annie Thibault; ces jours-ci, c’est Alexandre Castonguay qui y est à l’affiche. Pas mal du tout comme programme!
Castonguay nous présente un drôle d’écran qui semble diffuser un vidéo un peu brouillé. On se poste devant et on attend… Seul un personnage à l’écran paraît garder la pose après être entré dans le cadre… Plutôt ennuyant! Mais juste au moment où l’on s’éloigne de cette pièce, ledit personnage se meut lui aussi! Alors on comprend que l’on regardait bien sûr notre propre image diffusée sur un écran… En fait, Castonguay nous oblige à examiner notre propre manière d’appréhender l’oeuvre d’art! La pose contemplative de l’amateur s’y trouve exhibée. Voilà certes un sujet déjà traité pas les artistes minimalistes – le travail de Carl André ne fait-il pas aussi cela? – et par plusieurs installations. Néanmoins, l’effet est très bien calculé. Tout comme est très réussie la pièce présentée dans la grande salle, qui fonctionne sur un principe assez similaire.
Si cette expo est un bon exemple de ce que Ouellette a en tête pour sa galerie, il va falloir suivre ses activités avec attention.
Jusqu’au 22 décembre
Galerie Pierre-François Ouellette art contemporain
À signaler
Le commissaire Eric Mattson propose des programmes de musiques informatiques et électroniques contemporaines intitulés Volt-AA. Ces soirées auront lieu les 19 décembre et 16 janvier à 20 h, dans le O Patro Vys, situé au 356, avenue du Mont-Royal Est (juste au-dessus du BillyKun. Mercredi prochain, on pourra y entendre les compositeurs Frank Bretschneider, Carstein Nicolai et Olaf Bender. En janvier, ce sera au tour d’Ekkehard Ehlers, Stephan Mathieu, Akira Rabelais, Charles Ives, Terry Riley, Philip Jeck, Nurse With Wound, Bernard Parmegiani. Des performances sont aussi au programme.