Kiki Smith : La conteuse aux mains nues
Arts visuels

Kiki Smith : La conteuse aux mains nues

Après trois années d’absence, KIKI SMITH présente ces jours-cI une nouvelle et superbe expo à la Galerie René Blouin. À la Galerie McClure, une petite expo fait un retour sur la création de la Galerie Powerhouse, devenue La Centrale.

"C’est avec Frida Kahlo qu’a commencé l’art contemporain. Je sais que bien des gens ne seront pas d’accord avec cet énoncé, mais c’est pourtant elle qui inaugura cette forme d’art utilisant l’expérience du corps comme source de création." C’est l’artiste américaine Kiki Smith – fille du sculpteur minimaliste Tony Smith – qui parle ainsi. Smith, qui présente ces jours-ci, après trois années d’absence, une nouvelle et superbe expo à la Galerie René Blouin, veut-elle réécrire l’histoire de l’art d’un point de vue féministe?

Ce n’est pas Duchamp, Warhol, ou même Beuys qui lui servent ici de point de référence. Les historiens de l’art ont souvent fait usage de figures paternelles… Smith et bien d’autres femmes artistes ont développé leur propre filiation et soeurorité. Elles peuvent bien se le permettre puisque, après des siècles de domination et de confréries masculines, l’art de nos jours est plus souvent qu’autrement leur fait. Pensons à Cindy Sherman, Louise Bourgeois, Sophie Calle, Nan Goldin, Tracey Moffat, Sarah Sze, Barbara Kruger, Vanessa Beecroft, Shirin Neshat, Pipilotti Rist, Jessica Stockholder…

Pourtant, le travail de Smith ne semble pas totalement appartenir à une vision féministe du monde. Kiki Smith n’est pas Nancy Spero. Depuis sa première expo en 1983, où elle avait peint sur de la gaze les titres de journaux racontant l’histoire de femmes ayant tué leurs agresseurs en état de légitime défense, Smith a souvent fait un art engagé, mais souvent aussi elle a eu le sentiment "de ne plus avoir rien à apporter à ce grand débat".

Pourtant, tout dans cette expo chez Blouin est sous le signe des femmes. Des femmes comme son amie et modèle Geneviève Cadieux. C’est en effet cette artiste québécoise que l’on voit dans ces dessins et dans une sculpture. Des femmes qui semblent en transformation et pas nécessairement d’une manière angoissante, comme souvent Smith l’a fait. "C’est une expo joyeuse qui parle de naissance", commente l’artiste. Femmes en train de naître des entrailles d’un daim, femme émergeant du ventre d’un loup et qui est comme "une Vénus de Botticelli sortant d’un coquillage": il y a dans ces oeuvres un processus de transformation et de re-naissance qui est souligné. Ces naissances paraissent être le fait de métamorphoses presque magiques comme dans des récits fantastiques ou dans des contes pour enfants. Cette femme sortant du ventre d’un loup fait penser au Petit Chaperon rouge renaissant après avoir été dévoré…

Une expo comme un conte donc. D’ailleurs, toute l’oeuvre de Kiki Smith pourrait être vue comme un conte pour adultes. Des points d’ancrage dans la mythologie (dans la petite pièce de la galerie, voit-on une réappropriation de la louve de Romulus et Rémus?) ici et là nous disent un monde où les femmes ont une histoire et un pouvoir presque surnaturel. Envoûtant.

Jusqu’au 26 janvier (fermé du 22 décembre au 4 janvier)
À la Galerie René Blouin

Les femmes au pouvoir
C’est au printemps 1973, avenue Greene, qu’a été fondée la galerie de femmes artistes Powerhouse (devenue La Centrale). C’était la belle époque où l’art semblait pouvoir changer le monde et où l’on croyait se changer par l’art. Des femmes se réunissaient pour former des groupes de discussions et de rencontres. C’est, par exemple, par Powerhouse – dont le nom peut s’entendre aussi comme "La Maison du pouvoir" – que l’artiste Clara Gutsche a entendu parler, par une amie, d’un emploi de prof dans un collège pour lequel elle a alors postulé et qu’elle occupe encore de nous jours… Les hommes n’ont-ils pas eu longtemps leurs clubs (ou leurs tavernes) pour échanger? De tels regroupements et travaux collectifs de femmes permettront ailleurs, aux États-Unis, entre 74 et 79, la création du célèbre Dinner Party de Judy Chicago.

À la Galerie McClure, une petite expo fait un retour sur ce moment important de l’histoire de l’art où la création était avant tout communautaire. Le visiteur y trouvera des textes critiquant la première expo de Powerhouse où étaient réunies Margaret Griffin, Pat Walsh, Isobel Dowler-Gow, Clara Gutsche…

Plutôt faible, cependant, est cette expo commémorative avec des réalisations de 2001 de ces mêmes artistes. Même les pièces de Tanya Marsh, Gail Bourgeois, Margaret Griffin ne sont pas assez abouties.

Heureusement, il y a le travail de Clara Gutsche. Ses nouvelles photos interrogent l’identité masculine avec malignité. Pour parodier les clichés qui ont été énoncés sur les femmes, disons que Gutsche interroge le mystère des hommes… Leurs manières de se représenter et même de s’habiller sont des codes, artifices, rituels très énigmatiques au regard des femmes.

À travers ses photos de vitrines de magasin de vêtements, ou du bureau de campagne électorale de l’ancien maire de Paris, Gustche nous dit que les hommes sont les rois de l’artifice, capables de se construire une image de pouvoir et de solidité grâce à des codes vestimentaires tels qu’une belle écharpe de maire… Beaux mystères masculins…

Jusqu’au 22 décembre
À la Galerie McClure