Musée de Charlevoix : Hors champ
Exclus, marginaux, artistes à l’écart du monde de l’art, créateurs qui ignorent les normes; ce sont ces artistes que le photographe MARIO DEL CURTO immortalise sur sa pellicule. Voyage extra-culturel.
"Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas", écrivait Jean Dubuffet dans son pamphlet provocateur L’Art brut préféré aux arts culturels en 1949. Dubuffet (1901-1985) – un peintre à qui le centre Pompidou consacre jusqu’au 31 décembre une exposition soulignant le centenaire de sa naissance – est un des premiers artistes curieux de cet art à l’écart des "arts culturels". De cet art qui ignore l’esthétique des beaux-arts ou, pourrait-on encore le dire aujourd’hui, en marge des productions sorties des départements d’arts visuels. Dubuffet a créé la Collection d’art brut, conservée depuis 1976 à Lausanne en Suisse. "L’art brut est un phénomène idéologique, peut-on lire dans l’ouvrage de Lucienne Peiry qui en retrace l’histoire. Il constitue l’une des phases essentielles de décentrement et de bouleversement esthétique, sociologique et institutionnel qui a marqué la culture du XXe siècle." Mais il ne fait pas seulement partie du passé. Depuis 1983, le photographe Mario del Curto s’y intéresse. Du Niger jusqu’en Autriche, en passant par la France, l’Italie et le Québec, il photographie ces créateurs, souvent excentriques, qui s’adonnent à leur activité artistique en faisant fi des conventions artistiques ou en les méconnaissant.
Quatre-vingt portraits de 52 artistes nous accueillent au Musée de Charlevoix, un superbe musée construit sur le bord du fleuve près de La Malbaie. L’exposition nous vient du Musée de l’Élysée et de la Collection d’art brut de Lausanne. Le travail photographique de Mario del Curto nous présente davantage les artistes que les oeuvres, mais la plupart des photographies nous introduisent dans leurs univers fascinants. On y découvre notamment l’oeuvre du regretté Roger Ouellette, originaire de Sainte-Agnès. Un artiste que Mario del Curto a rencontré et photographié lors d’un séjour au Québec. Aux quelques portraits de Roger Ouellette, le Musée a joint deux des superbes sculptures de l’artiste. Sur les photographies, on entrevoit plusieurs de ses statues colorées, personnages et animaux étranges qui habitent son "musée de la civilisation". Le Musée de Charlevoix présente aussi, en plus des photographies de Mario del Curto, plusieurs oeuvres de sa collection (constituée surtout de dons) ainsi qu’une exposition consacrée aux sculptures de Gérald Mailloux, un artiste prolifique de Baie-Saint-Paul, dont on peut voir plusieurs sculptures animalières, d’autres religieuses ainsi que des personnages typiques, comme un soldat ou monsieur Pointu.
Le Musée de Charlevoix se consacre depuis 1975 à la mise en valeur des arts populaires. Pour le directeur du Musée, Patrice Giroux, dont la formation académique ne l’avait pas "préparé" à la rencontre de cet art, ce fut rien de moins que son "baptême du feu". Depuis 1998, il a développé une véritable passion pour les artistes populaires. Il travaille à faire reconnaître leurs oeuvres et défend la vocation bien spécifique du Musée. Évidemment, il n’est pas seul à s’intéresser à ces productions marginales. À Montréal, la Société des arts indisciplinés travaille aussi à la diffusion, la reconnaissance et la sauvegarde de cet art en marge des arts culturels. À Québec, depuis 1987, c’est surtout Folie/Culture et, plus récemment, les Ateliers de création sis au complexe Méduse qui nous mettent en contact avec l’art produit par des artistes qui se moquent de la notoriété, comme le dit si bien le théoricien Michel Thévoz, conservateur de la Collection de Lausanne. Bien sûr, on ne peut nier que cet art "doit son existence à un regard éminemment culturel", tel que l’écrivait le sociologue Pierre Bourdieu. Mais l’essentiel réside dans les oeuvres produites par ces créateurs, qu’ils soient "fous" ou qu’ils aient des maux de genou (elle est de Dubuffet, celle-là); qu’ils soient mariés, garagistes ou poètes, ils bousculent et remettent en question les catégories et transforment notre vision de l’art.
Mario del Curto
Les Clandestins sous le vent de l’art brut
Jusqu’au 13 janvier 2002
Gérald Mailloux
Du Grand Art populaire
Jusqu’en mars 2002
Au Musée de Charlevoix
Voir calendrier Arts visuels
Bloc-notes
Faire de beaux rêves au musée…
Le Musée du Québec inaugurait récemment trois nouvelles expositions: l’excellente rétrospective du peintre Denis Juneau, dont nous parlerons plus longuement très bientôt, une exposition sur les sculptures d’athlètes de Robert Tait McKenzie – qui n’est pas dénuée d’intérêt – et l’installation Faites de beaux rêves d’Ana Rewakowicz. On a déjà eu l’occasion d’apprécier une de ces pièces lors de sa résidence à la Chambre blanche au printemps dernier. Elle a construit une imposante voiture gonflable animée par un moteur. Deux grandes photographies d’une ancienne installation où se meuvent des personnages en habit de latex et une bande sonore complètent cet environnement presque lunaire.