Espace VOX : Style international
La photographie est devenue l’un des modes majeurs de création en art actuel: de Jeff Wall à Cindy Sherman, en passant par Tracey Moffatt, l’image photo est un support privilégié de la représentation de notre contemporanéité.
La photographie est devenue l’un des modes majeurs de création en art actuel: de Jeff Wall à Cindy Sherman, en passant par Tracey Moffatt, l’image photo est un support privilégié de la représentation de notre contemporanéité. Parfois, j’ai même l’impression que la photographie a supplanté la peinture dans l’inconscient collectif de la clientèle d’amateurs et d’acheteurs de l’art contemporain, qui la consomment avec une ferveur semblant dépasser un simple phénomène de mode.
Presque chaque grande ville à travers l’Occident a maintenant son lieu dédié à ce médium: Londres a sa célèbre Photographer’s Gallery; Paris, son Centre national de la photographie; Rotterdam, son Institut néerlandais de la photo; même Ottawa possède son Musée canadien de la photographie contemporaine…
Montréal ne sera donc pas en reste?
Je dois dire que je me réjouis de l’ouverture ici d’un nouvel espace ("polyvalent et modifiable", nous a-t-on dit à la conférence de presse) dédié à la photo. La Galerie VOX, rue Sainte-Catherine, n’est plus, mais vive l’Espace VOX – avec ses 4000 pieds carrés – dans le bâtiment du Marché Bonsecours! Certes, chaque année, cet endroit mettra à l’affiche moins d’événements – cinq au lieu de huit -, mais ceux-ci seront de plus grande envergure: on nous le promet. Pierre Blache, qui assumera la direction administrative de l’espace, espère de plus que cette nouvelle localisation dans le Vieux-Montréal attirera davantage de gens aux expositions. C’est à voir… Quel que soit l’impact auprès du large public, il faut dire l’importance de l’existence à Montréal d’un tel lieu complémentaire aux musées et aux centres d’artistes. Et cela d’autant plus que, selon les propres mots de Marie-Josée Jean – qui s’occupera de la direction artistique -, l’Espace VOX "fera circuler certains projets montés ici ou fera des expos conjointement avec d’autres centres au Canada et à l’étranger".
Pour inaugurer cet espace, l’équipe expérimentée de VOX a imaginé une exposition en deux parties avec comme titre général La Vie en temps réel. Le premier volet de cet événement se nomme Mode accéléré, et a pour commissaire Élène Tremblay. Le second, qui débutera en mars, s’intitulera Mode ralenti.
Voici donc la première expo de cet espace. Une expo bien faite, bien montée. D’une manière impeccable même. Elle montre des artistes – Nicolas Baier, Dorion Berg, Isabelle Grosse, Matthias Hoch, Thomas Kneubühler et Yudi Sewraj – ayant une pratique des plus sérieuses. Pourtant, je dois avouer que je m’y suis ennuyé…
Bien sûr, il y a dans ce nouvel Espace VOX des images qui feraient honneur à n’importe lequel de ces centres que j’ai mentionnés plus haut. Mais justement, dans cette expo, je me suis surtout senti plongé dans un style international actuel déjà classé que je pourrais voir dans beaucoup de lieux ou de revues d’art. Le cas le plus flagrant étant les images de Matthias Hoch qui a travaillé avec Andreas Gursky (sans pour autant atteindre la qualité de son travail). Tout comme Thomas Ruff, Thomas Struth, Candida Höfer et quelques autres, il participe à une photographie en apparence objective, à tendance documentaire, qui pourrait être bien souvent présentée dans Life, National Geographic ou Geo. Parfois, ces photographes – principalement Gursky, le meilleur du groupe – ont produit de bonnes images. Mais plus souvent qu’autrement, ils ont créé des photos proprettes, très froides et posées où le temps semble arrêté. Certains peuvent approuver cette manière de montrer le monde. Ce n’est, en général, pas mon esthétique. Tout cela est bien loin des usages plus déroutants et émotifs de la photo par Nan Goldin, Cindy Sherman, Jack Pierson, Mark Morrisroe, Helmut Newton, Robert Mapplethorpe, Diane Arbus… Hoch fait bâiller. Et puis, une photo d’une autoroute comme illustration de la vitesse… On a déjà vu plus original! Les images de Kneubühler me paraissent de la même veine, tout comme cells de Grosse – à l’exception de son image de Beaubourg qui est très réussie.
Heureusement pour le visiteur, il y a une image de Nicolas Baier. Le montage constituant Oli montre un homme littéralement coupé en deux. Ses jambes s’affairent dans l’espace de travail (l’atelier Clark) alors que son torse et sa tête se reposent dans un lit. Les temps s’y interpénètrent. La vie semble se décomposer entre le temps du travail et celui du sommeil. "Des fois, on n’a presque plus le temps d’embrasser sa blonde", de dire Baier. Très bien est aussi le vidéo de Sewraj qui me paraît connecté à l’univers étrange d’Ann Sofi Sidén (qu’on a pu voir chez VOX en début de saison). C’est aussi proche du personnage de Charlot qui, dans Les Temps modernes, semble incapable d’arrêter de travailler.
Il est extrêmement important que Montréal ait un espace photographique qui soit digne d’un réseau occidental d’exposition. Mais il ne faudrait pas que cet endroit présente des images illustrant simplement la tendance dominante. Un peu de sang neuf dans le commissariat de ce lieu permettrait-il de remédier à la situation?
Espace Vox
Jusqu’au 3 mars