Rober Racine : Les lois secrètes du langage
Arts visuels

Rober Racine : Les lois secrètes du langage

L’artiste Rober Racine conserve dans son processus créatif une fascination obsessive pour la langue qui tient à la fois de l’émerveillement de l’enfance et du travail de recherche du scientifique. Le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa lui consacre une rétrospective majeure.

Le pouvoir magique des mots! Enfant, il y a des expressions qui nous intriguent, nous font rire ou au contraire représentent de pénibles exercices de prononciation: félin est alors le chas d’une aiguille; la babouche semble symboliser un étrange passage du pied à la cavité buccale; la moissonneuse-batteuse est digne des "chemises de l’archiduchesse"… Au début de l’adolescence, les mots nous dévoilent des liens secrets avec le désir. Un ami me disait comment il avait eu ses premières émotions sexuelles en feuilletant les pages du dictionnaire: juste la lecture de mots décrivant certaines parties de l’anatomie le mettait dans des états d’excitation incommensurable…

L’artiste Rober Racine, né à Montréal en 1956, conserve dans son processus créatif une fascination obsessive pour la langue qui tient à la fois de cet émerveillement de l’enfance ou de l’adolescence et du travail de recherche du scientifique! Dans la rétrospective majeure que le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa lui dédie ces jours-ci – et qui aurait dû être encore mieux déployée dans les salles du musée -, le spectateur pourra constater comment ce grand artiste a élaboré depuis plus de 20 ans une forme de recherche très personnelle sur le langage, qui ne relève ni de la sémiologie ni de la linguistique, et qui tente de trouver dans celui-ci des lois et des ramifications secrètes. Racine interroge le vocabulaire avec une attention digne d’un explorateur découvrant un nouveau monde, d’un anthropologue dénichant une civilisation cachée ou d’un sourd entendant des sons ou des paroles pour la première fois. Il ne s’agit pourtant pas d’une apologie convenue et de bon ton, à la Bernard Pivot, sur la beauté de langue française.

Avec Racine, un texte se dévoile. Il peut cacher de la musique. Non pas une musique des rythmes ou des sons mais une véritable musique avec des notes qu’il suffit de jouer. Dans le catalogue de l’expo, on peut lire comment, par exemple, le mot résolution est devenu pour Racine les notes ré, sol et ut. La Musique des pages-miroirs, qui occupe visuellement et musicalement une des salles de l’expo, est un exemple de ce travail de correspondance post-baudelairien. Dans sa performance Salammbô de 1980, qui consistait à faire une lecture à haute voix de ce livre, Racine aborde le langage avec un angle nouveau, héritier des structuralistes. Le texte de Flaubert fut dit pendant 14 heures dans un escalier dont les marches correspondaient dans leurs dimensions à la longueur des chapitres de l’ouvrage. Il donnait ainsi à voir la construction du roman.

Dans un de ses projets du Jardin des mots – dont la réalisation serait une oeuvre parfaite pour la nouvelle Grande Bibliothèque à Montréal -, Racine présente les mots avec leur date de naissance (par exemple, Antiesclavagiste 1866). Il souligne alors comment le vocabulaire est une histoire sociale du monde. Parfois, il met aussi au jour des sens plus politiques cachés derrière les mots… Comme dans cette pièce intitulée Selena. Y sont inscrits des noms de villes – majoritairement de l’hémisphère nord et jamais africaines – où sont exposés des fragments de sol lunaire. Racine montre là comment l’exploration des étoiles est une affaire de riches. Loin d’être simplement poétique, le travail de Racine est totalement ancré dans la réalité de la vie et des mots qui lui donnent son sens.

Le catalogue produit par le Musée et les éditions Les 400 coups se révèle une référence incontournable, en particulier le texte de Danielle Legentil, extrêmement bien documenté et qui dresse un historique exemplaire du travail de l’artiste.

Rober Racine proposera une visite guidée de son expo le dimanche 3 février à 15 h. Un voyage chez nos voisins ontariens s’impose absolument.

Jusqu’au 24 février
Au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa

À signaler

– Le Musée des beaux-arts de Montréal organise souvent des conférences pour le grand public. En attendant la série de rencontres organisée par Stéphane Aquin avec des artistes contemporains (Jacques Perron, Barbara Steinman, Pierre Dorion, Daniel Dion), tous les mercredis de mars à 19 h, voici deux exposés dans le cadre de l’exposition d’Herbert List qui commence la semaine prochaine. Max Scheler – légataire des oeuvres de List et ami du photographe – et Ulrich Pohlmann – directeur du Foto Museum de Munich – viendront parler de ce grand photographe allemand. Cela aura lieu le mercredi 23 janvier à 16 h, dans l’auditorium Maxwell-Cummings du MBA. L’entrée est libre. Renseignements: (514) 285-1600.

– Le Musée McCord propose une petite expo en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde, qui vient de célébrer ses 50 ans. Molière au Nouveau Monde souligne l’importance de cet auteur dans la culture québécoise et dans le répertoire du TNM. On y apprendra que même si les riches colons avaient emmené Molière dans leur balluchon, il fut interdit par l’Église et représenté pour la première fois en Nouvelle-France en 1774… mais en anglais et par des soldats britanniques!!! Deux siècles plus tard, le 9 octobre 1951, c’est néanmoins L’Avare qui lancera la première saison du TNM. Le visiteur trouvera aussi dans cette expo plusieurs costumes, maquettes de décors et photographies d’acteurs ayant joué du Molière (Jean Gascon, Albert Millaire…). Jusqu’au 20 mai. Au Musée McCord.