Gigajapon : Moi et l'autre
Arts visuels

Gigajapon : Moi et l’autre

Avec l’expo Gigajapon, le Centre des arts Bronfman nous permet d’explorer l’art nippon actuel à travers six jeunes créateurs. Une occasion exceptionnelle de voir où en est l’art contemporain au pays du soleil levant. Et de constater que l’Occident n’est pas très loin.

Le Japon fascine l’Occident. Le marché de l’art est de plus en plus consommateur de ses créateurs: la très branchée et ancienne mannequin Mariko Mori avec son esthétique pseudo-bouddhiste; le peintre Yoshitomo Nara avec ses fillettes violentes qui remettent en question l’innocence de l’enfance; les autoportraits travestis du photographe Yasumasa Morimura; les images froides et ennuyantes d’Hiroshi Sugimoto montrant des statues provenant de musées de cire; les clichés plus intrigants de jeunes filles ligotées de Nobuyoshi Araki… On pourrait se réjouir d’une telle ouverture à l’autre et à la différence culturelle. Vraiment?

Avec l’expo Gigajapon, le Centre des arts Bronfman nous permet de poursuivre cette exploration de l’art nippon actuel. En provenance de Cambridge (Ontario), cette présentation de jeunes créateurs japonais (nés fin 60, début 70) est une occasion exceptionnelle de voir où en est l’art de là-bas. D’autant plus que la conservatrice Catherine Osborne – une des fondatrices, en 1997, de la revue d’art torontoise Lola – propose une sympathique sélection de six artistes dont deux au moins – Hiroyuki Matsukage et Yuki Kimura – ont une production intelligente.

Mais formulons une mise en garde afin d’éviter une béate apologie du "polyculturalisme" du milieu de l’art contemporain et une vision simpliste du Japon. Lors du vernissage, les uns et les autres y allaient de leurs clichés sur le pays du soleil levant: "une culture énigmatique incompréhensible pour les Occidentaux", "un art frôlant la pédophilie "… Et j’en passe! Même si la très belle photo de Yuki Kimura, Uniform, montrant une jeune fille en tenue scolaire vue de dos en train d’écarter les jambes, pourrait justifier certains propos, n’oublions pas comment notre culture est aussi fascinée par l’adolescence et l’enfance! L’expo Présumés innocents à Bordeaux a montré un bon nombre d’artistes occidentaux intéressés par le sujet: Larry Clark, Collier Schorr, Paul Armand Gette… L’oeuvre de Renoir et Degas n’est pas non plus exempte de cela!

De plus, à voir les oeuvres de Gigajapon, on se rend vraiment compte que le Japon n’est pas à l’abri ou à l’écart de l’Occident. Si l’art japonais est tant présent sur la scène contemporaine, c’est qu’il a su jouer le jeu de notre système et de notre esthétique: Morimura parodie des tableaux occidentaux (comme la Mona Lisa); Sugimoto montre des personnages de cire de notre histoire (tel Napoléon); Araki reprend l’univers sadomaso de Mapplethorpe ou de Bellmer… Et au Centre Saydie Bronfman, l’Occident est LA référence. Matsukage avec sa photo intitulée Star Milk donne à voir une parodie de la publicité et de sa récupération de l’art. Une femme couchée, comme la Maja de Goya, a à ses pieds une carafe et un verre de lait… Une photo de Kimura montre les cigarettes Lucky Strike. Des oeuvres qui sont donc très proches de l’Occident, de son art et de ses valeurs de consommation.

L’historien d’art et conservateur du Musée d’art moderne de New York Kirk Varnedoe a montré comment notre intérêt pour le Japon (qui date au moins du 18e siècle) n’était pas tant un désir de l’autre qu’une reconnaissance de soi à travers un miroir un peu déformant… Ainsi, les impressionnistes qui adoraient Ando Hiroshige et Katsushika Hokusai retrouvaient l’art occidental digéré par ces artistes qui en avaient fait la découverte quelques décennies plus tôt grâce à des gravures importées en Orient… Ce que l’on aime en l’autre n’est peut-être pas toujours aussi exotique que l’on pense. Cela dit, Gigajapon n’est pas une mauvaise présentation. Loin de là. Mais peut-être est-ce moins japonais que prévu.

Il faut voir cette expo ne serait-ce que pour l’installation Star de Matsukage, montrant en demi-cercle une immense photo d’un groupe d’adolescentes. Quand on parle dans le micro placé devant ce dispositif, des cris de jeunes filles se font entendre au même moment que des projecteurs s’allument! On se sent devenir une rock star. Dépaysant pour le commun des mortels!

Jusqu’au 10 mars
Au Centre des arts Saidye Bronfman