Herbert List : Objets de désir
L’artiste allemand Herbert List fait l’objet d’une rétrospective majeure au Musée des beaux-arts. Ce photographe semble avoir utilisé le prétexte de l’art et de la Grèce pour élaborer un art parfois très néoclassique, souvent académique, où la camaraderie virile justifie bien des proximités.
Répétons-le: être gai ne fut pas toujours facile dans l’histoire moderne. Il fut une époque où, en plus d’être menacés des tortures de l’Enfer par les différentes religions, les gais risquaient à la fois la prison – au 19e siècle et même au 20e siècle, beaucoup furent condamnés pour sodomie ou tout simplement pour racolage -, les hôpitaux psychiatriques et même des traitements médicaux barbares – certains médecins procédèrent tout simplement à des séances d’électrochocs mais aussi à des lobotomies et à des castrations sur leurs patients!
Les arts furent donc un refuge pour plusieurs homosexuels. Et un prétexte puisque la peinture, le dessin ou la sculpture permettaient, en particulier, une approche du corps, parfois nu, qui contournait la morale dominante. Le domaine des arts fut souvent un univers un peu plus libre. Dans les séances de pose avec modèle, un homme pouvait en regarder un autre sans risquer sa peau…
L’artiste allemand Herbert List (1903-1975), dont on peut voir une rétrospective majeure au Musée des beaux-arts, semble avoir lui aussi utilisé le prétexte de l’art pour s’introduire auprès d’autres hommes. La photographie fut son intermédiaire. Il tirait le portrait de jeunes hommes rencontrés au hasard de ces voyages, certains (pas toujours gais) l’accompagnaient même dans ses pérégrinations sur les plages de la Mer du Nord et de la Grèce, où il a pris de nombreuses photos.
Herbert List assouvissait ainsi une pulsion de voir des hommes et un besoin d’être, sans honte, avec d’autres hommes – une forme d’homosocialité – sans que cela débouche toujours vers des relations sexuelles avec ses modèles. Bien sûr, son art photographique dépasse le corpus d’images plus ou moins sensuelles de jeunes hommes. Sur les 228 tirages originaux exposés au MBA, moins du tiers mettent en scène des beautés masculines. Néanmoins, cette partie de son oeuvre représente la source, le fondement pulsionnel de son travail créatif. À travers un second prétexte (la Grèce), il a élaboré un art parfois très néoclassique, souvent académique, où la camaraderie virile justifie bien des proximités.
Et c’est là que le bât blesse. Les Grecs ont donné malgré eux un terrible cadeau à la culture occidentale: la glorification de la beauté. Depuis, nous sommes pris au piège. Car le beau n’est pas que bon. L’idéal grec a fait des petits et malheureusement pas que des enfants talentueux. L’esthétique ainsi que les idéaux grecs, et bien sûr romains, ont inspiré à tort et à raison les révolutions française et américaine (Washington fut bâtie en style néoclassique), les fascistes allemands et italiens, une quantité impressionnante d’artistes réactionnaires réagissant avec violence à la modernité… Les Jeux olympiques ont repris le flambeau de ce monde héroïque-là et, de nos jours, même les publicités Calvin Klein rivalisent avec la statuaire antique grâce à l’esthétique très séduisante de Bruce Weber (qui doit d’ailleurs beaucoup à List).
La Grèce fut une source de légitimation pour bien des pouvoirs mais aussi pour bien des esthétiques kitsch pas toujours très révolutionnaires. Plusieurs photographes homosexuels prirent de nombreux clichés d’hommes, de jeunes hommes et même de garçons plus ou moins drapés dans des toges ou tout simplement dans des poses évocatrices de l’art antique. Des images qui sont souvent d’un mauvais goût absolu.
Avouons-le, List est souvent très cucul. Et je dis cela tout en exprimant mon amour pour certaines de ses images qui, à mes yeux, incarnent le bonheur. Cette photo prise aux environs de 1932 sur les bords de la Mer du Nord montrant deux garçons se regardant en souriant, les cheveux mouillés et en bataille, m’apparaît encore maintenant comme le symbole de la joie. Mais est-ce suffisant pour en faire du grand art?
Néanmoins, il y a des images qui montrent un talent indéniable. Par exemple, la série composée de vitrines de magasins est exceptionnelle. Plusieurs portraits – dont ceux de Vittorio de Sica et de Pier Paolo Pasolini – sont fabuleux. Celui de l’actrice Anna Magnani frôle le chef-d’oeuvre. Et cela tient plus au talent de List qu’à la personnalité et la beauté déjà indéniable du modèle. La Magnani a l’air d’une Méduse moderne. Son regard est intense comme la mort. La noirceur de ses yeux et de ses cheveux semble comme un trou noir dans l’espace absorbant la lumière environnante.
Cette image et plusieurs autres très réussies font-elles pour autant de List – comme le dit le communiqué de presse – un des plus importants photographes du 20e siècle? Pas sûr.
Soulignons que le design de l’expo – par Robert H. Anderson -, qui pourra certainement déplaire aux puristes, est néanmoins très réussi. Il occupe fortement l’espace et c’est tant mieux. Il brise la monotonie de la succession – en rang d’oignons – des images qui auraient pu être présentées avec encore plus d ‘originalité. Deux ou trois comparaisons avec d’autres photographes contemporains (l’image montrant des lunettes fait étrangement penser à une photo de Kertész) auraient été une très bonne idée de présentation pouvant permettre de juger, encore mieux, de la qualité de ce travail et de ses limites.
Jusqu’au 28 avril
Au Musée des beaux-arts
À signaler
Dans le cadre de l’expo Jeune design nordique qui vient de débuter au Centre de design de l’UQAM, auront lieu deux rencontres avec le public: le mercredi 6 février à 18 h, dans la salle d’exposition, quatre designers québécois – Jacques Coutu, Anders Fahrendorss, Jean St-Cyr et Koen de Winter – viendront parler de leur expérience de création dans les pays du nord de l’Europe; le mercredi 13 février à 18 h, dans la salle DE3225, le jeune designer Ilkka Suppanen donnera une conférence publique. Renseignements: 987-3395