Patrick Coutu / Charles Guilbert : La vie est un songe
Avec une belle sobriété de moyens, les artistes PATRICK COUTU et CHARLES GUILBERT ont recréé à la Galerie B-312 le sentiment double d’étrangeté et de familiarité que laissent les rêves et les souvenirs.
"Les restes d’un rêve au réveil"… Cette phrase, le visiteur pourra l’entendre dans une des salles de la Galerie B-312 où se tient actuellement l’exposition Carrousels. Et elle pourrait très bien en être le titre général. Le commissaire – l’artiste Serge Murphy – a invité deux artistes: son ami Charles Guilbert et un ancien étudiant, Patrick Coutu, qui proposent deux très bonnes oeuvres traitant en effet du souvenir, de la mémoire et même des replis de l’inconscient. Mais que le lecteur ne prenne pas peur, qu’il ne s’attende pas, malgré l’intelligence du propos, à une conférence sur la psychanalyse!
Pas de démonstration ni d’illustration d’une théorie dans cette présentation. Coutu et Guilbert recréent, avec une belle sobriété de moyens, le sentiment double d’étrangeté et de familiarité que laissent les voyages oniriques au petit matin ou que conservent les souvenirs dans notre mémoire.
Coutu a placé dans la grande salle de la galerie une suite de photos mises bout à bout comme une frise: un gros plan sur le visage d’une femme; le panorama d’une route de campagne s’étirant à l’horizon… Aucun lien entre ces photos, sinon qu’elles sont des moments de la vie de l’artiste, des fragments de son histoire. Bien sûr, cela fait penser à la manière de monter les images de Sam Taylor-Wood, mais c’est néanmoins très senti. Une pièce d’une plus grande maturité que sa photo-citation du Déjeuner sur l’herbe de Manet que l’on a trop vu et qui fait un peu penser à un exercice d’étudiant. Une pièce aussi bonne que celle qu’il nous avait présentée au Centre Saidye Bronfman en 99. Le sens de la vie, les souvenirs de notre existence semblent y ressurgir selon leurs propres lois et leurs propres liens…
Quant à Guilbert, il propose une oeuvre sonore exemplaire. Là encore, ce genre d’exercice est à la mode (Racine, Cadieux…), mais celle-ci en est bien plus qu’un simple écho. On y entend de courtes phrases ("Un chiot entre les jambes de son maître"; "Tenir dans ses bras un animal blessé"; "Deux enfants qui pleurent") faisant référence à des dessins esquissés sur les murs. Que cachent donc ses phrases? Quels secrets, quels souvenirs, quels bonheurs ou quelle douleur?
Les deux pièces se complètent à merveille: celle de Guilbert parlant plus de l’ouïe, celle de Coutu traitant davantage de la vue. Mais dans les deux cas, c’est le dysfonctionnement des sens et de la mémoire qui est convoqué. Le récit qui donnerait du sens à ces fragments semble nous fuir. Pourquoi tel souvenir ressurgit-il plutôt que tel autre? Pourquoi telle image nous a-t-elle marqué? Coutu et Guilbert nous redisent avec finesse comment, dans le quotidien, parfois au moment où l’on s’y attend le moins, refont surface des émotions significatives de notre existence.
Toujours à la Galerie B-312, signalons que le mardi 12 février à 19 h aura lieu une table ronde sur la notion de "Virus". Bien sûr, l’artiste Mathieu Beauséjour sera présent, lui qui, tout au long des années 90, a parasité les billets de banque avec le logo "survival virus de survie". Il sera accompagné d’un informaticien, Daniel Poulin, et d’une psychanalyste, Monique Lévesque. L’historien et théoricien de l’art Jean-Émile Verdier animera le débat.
Jusqu’au 16 février
Galerie B-312
Robbin Deyo
La peintre Robbin Deyo entrerait-elle dans une période arabisante? Ses plus récents tableaux de cire sont en effet des enchevêtrements de formes qui ressemblent beaucoup aux motifs complexes que l’on retrouve dans l’art islamique. Deyo a presque totalement délaissé la géométrie pure (réseau de carrés comme une nappe en vichy ou ligne impeccable traversant l’espace visuel comme un zip de Barnett Newman) et les formes agréables des moules à gâteaux (il y a seulement deux ou trois exemples de cela dans l’expo), pour un assemblage plus inusité de motifs parfois irréguliers s’imbriquant les uns dans les autres. Cela donne des effets de mosaïques qui rappellent les jeux visuels obsédants de l’art islamique où le chaos semble s’organiser pour donner un ordre au monde. Le décoratif y occupe alors une fonction méditative certaine. Cela s’accorde parfaitement avec le travail de l’artiste puisque Deyo voit une forme d’ascèse dans le long et méticuleux processus créatif de découpe des fragiles morceaux de cire.
Du coup, la joliesse (très à la mode en art contemporain, mais heureusement toujours trompeuse chez Deyo), jusque-là très présente dans son oeuvre, tend à s’estomper. Les couleurs sont d’ailleurs moins bonbon et s’éloignent de la palette des iMac… Je dois dire que j’avais cru, lors de sa dernière expo au Centre des arts visuels, que l’artiste était allée au bout des possibilités de son matériau et de son idée. La peintre surprend en renouvelant astucieusement son travail par cette référence islamique.
Parmi les tableaux les plus réussis, j’ai remarqué Exposed – une mosaïque all over de losanges bleus – et Placed – une marqueterie de fines couches de cire.
On remarquera que les oeuvres de Deyo sont ici encadrées pour la première fois. Pour les tableaux où la toile est plus présente, cela fonctionne parfaitement – le bois du cadre insistant sur la texture du coton du tableau -; mais pour ceux où la cire est très présente sur les bords de l’image, cela nie la matérialité de l’oeuvre, son épaisseur magique, sa translucidité lumineuse. Sans être un moderniste à tout crin, il apparaît évident que ces cadres transforment malheureusement ces tableaux-là en objets bourgeois.
Jusqu’au 16 février
Galerie Trois Points
À signaler
À la Société des arts technologiques (SAT), se déroule jusqu’au 10 février la cinquième édition du festival Les HTMlles. De quoi s’agit-il? D’art Web, d’installations multimédias et de performances, mais aussi de conférences de femmes artistes venant d’Argentine, d’Australie, des États-Unis et du Canada. Un panorama de ce qui se fait actuellement dans le domaine du cyber-art et des formes d’art qui s’y sont connectées. Les nouvelles technologies ne sont pas que le joujou des gars… Au 305, rue Sainte-Catherine Ouest. Renseignements: 845-7934 ou www.studioxx.org/maid2002.