Peinture abstraite au Musée d'art contemporain : Actualité de l'abstraction
Arts visuels

Peinture abstraite au Musée d’art contemporain : Actualité de l’abstraction

Le MAC inaugure une expo collective de trois jeunes peintres: LISE BOISSEAU, MICHEL DAIGNEAULT et DAVID URBAN, et programme en même temps une rétrospective des 10 dernières années de création de FRANÇOIS LACASSE. Pourquoi une telle persistance de la peinture abstraite?

La peinture abstraite est bien d’actualité au Québec! Bien sûr, elle a eu une histoire moderne importante avec Borduas, Riopelle, Ferron, Leduc (et plusieurs autres), mais elle continue d’être extrêmement contemporaine. Beaucoup d’artistes la pratiquent encore. Et, étrangement, pas seulement des peintres consacrés ayant entrepris leur démarche il y a plusieurs décennies (Guido Molinari, Claude Tousignant…) mais aussi une ribambelle de plus jeunes. Parmi ceux-ci, Stéphane La Rue (présenté au Musée d’art contemporain à l’été 2001), Martin Bourdeau (de retour en avril prochain à la Galerie B), Marie-Claude Bouthillier (aux cimaises du Centre Expression à Saint-Hyacinthe l’automne dernier)… Aujourd’hui débute au Musée d’art contemporain (MAC) une expo collective de trois jeunes peintres: Lise Boisseau, Michel Daigneault et David Urban. Comme si le MAC voulait souligner l’importance de cette abstraction québécoise, il a programmé en même temps une rétrospective majeure des 10 dernières années de création de François Lacasse. Pourquoi une telle persistance de la peinture abstraite? Le cas de Lacasse est exemplaire.

Né en 1958, François Lacasse propose une forme d’abstraction qui est, bien sûr, un dialogue avec les grands peintres d’une autre génération. Dans le catalogue de l’expo, il dit son amour pour Jackson Pollock, Clifford Still… Ici, la coulée de peinture (réalisée sur des plans inclinés) ne peut en effet que faire penser à l’expressionnisme abstrait. L’abstraction américaine et québécoise est auréolée d’une grandeur héroïque qui continue donc de nous hanter. Elle représente le moment d’entrée de l’Amérique et du Québec dans la Modernité. Lacasse n’échappe pas à ce modèle. Qui le pourrait et, surtout, qui le devrait? L’art abstrait a produit une très grande peinture. Pourtant, la raison d’être de cette abstraction est-elle encore là? Peut-on encore prétendre se servir de l’abstraction comme outil de contestation des images contrôlées par la religion, le pouvoir et la bourgeoisie?

Dans sa trentaine de tableaux présentés au MAC, Lacasse souhaite souligner le processus de "la vision comme une activité" demandant une participation du regardeur. Dans ses enchevêtrements de plans du début des années 90, où son art frôle l’abstraction (mais dans un sens plus proche de Mondrian, Lacasse ayant abstrait les éléments essentiels des peintures figuratives), le spectateur doit décomposer et recomposer mentalement les images mélangées afin de comprendre le tableau. Plus récemment, ses superpositions de plans parfois transparents demandent encore ce type de participation. La clarté de l’image, sa perméabilité aux messages véhiculés et aux codes du pouvoir est encore de nos jours perçue comme sa qualité suprême. Que des images soient comme des interférences, des évocations de parasitage prend alors tout un sens. L’abstraction peut encore avoir une certaine fonction politique de contestation des images dominantes. Contestation moins fracassante, mais néanmoins encore pertinente. Certains artistes (Malevich, par exemple) ont vu dans l’abstraction une manière de nettoyer l’oeil du spectateur, de lui proposer un imaginaire visuel différent et résistant aux valeurs dominantes. Lacasse renoue brillamment avec cela.

Je dois dire que je n’étais pas un fan de sa peinture au milieu des années 90. J’y voyais un fouillis propret. Une manière un peu trop bourgeoise de citer la tradition picturale tout en évacuant l’aspect révolutionnaire de ces citations. David Salle (dans un style un peu différent) me semblait avoir travaillé les juxtapositions d’images avec une intensité (sexuelle) bien plus forte.

Mais depuis 97, et encore plus depuis 99, il est évident que Lacasse a trouvé sa voie. Les tableaux des dernières années sont de la très grande peinture.

Signalons que l’artiste rencontrera le public et répondra avec plaisir à ses questions, le mercredi 6 mars à 19 h.

Jusqu’au 28 avril
Au Musée d’art contemporain
Processus créatif
Même si vous ne connaissez pas l’art contemporain, vous êtes familier avec son travail. Les sculptures situées place Émilie-Gamelin (métro Berri), c’est lui qui les a réalisées (au début des années 90), tout comme celles du jardin du Centre canadien d’architecture sur René-Lévesque (à la fin des années 80). C’est lui aussi qui était le maître d’oeuvre du tristement célèbre événement Corridart en 76 qui, aux yeux du maire Jean Drapeau, contestait trop l’administration municipale de l’époque et qui fut démantelé sans aucun respect pour l’intégrité du travail des artistes qui y avaient participé… Il a aussi représenté le Canada à la Biennale de Venise en 86 et reçu le prix Borduas en 96.

Melvin Charney – vous l’aurez reconnu – n’a donc plus à être présenté. Son travail fait partie de notre paysage urbain et de notre culture. Pourtant, son expo ces jours-ci au MAC révèle un aspect de sa création qui ne nous est pas très familier. Cet événement montre comment depuis les années 50 la photographie a été essentielle dans sa démarche créatrice.

La deux premiers volets dévoilent certes un travail toujours aussi sérieux mais malheureusement guère emballant. La série de photos de vieilles maisons de bois souligne certes, comme l’écrit lui-même Charney, son intérêt pour "les marges de la société" et pour une architecture non monumentale. Elles sont intéressantes car elles représentent un changement majeur du regard de l’architecture sur le patrimoine, après des décennies de table rase. Mais elles font beaucoup penser à d’autres photographies déjà développées par une précédente génération. Je pense entre autres à Walker Evans qui, dans les années 30, soulignait la beauté simple d’une architecture pauvre. Tout comme me semblent guère nouvelles les images de voyages ou même les photographies assemblées. Il faut dire que ces images ne sont pas à prendre totalement en tant que création autonome. Elles sont les documents d’une démarche intellectuelle profonde et plus large. De ce point vue, elles doivent retenir l’attention puisqu’elles parlent du processus créatif de l’artiste. On regrettera cependant la présentation sévère de l’ensemble. Dans le catalogue, deux clichés pris en 75 par Yvan Boulerice dans l’atelier de l’artiste donnent à voir un montage de photos et de dessins placé sur un mur. Cela aurait dû être une source d’inspiration pour la présente expo, une manière plus juste de représenter la démarche créatrice de Charney.

Visuellement, heureusement, les séries de photos peintes et de photos construites soulignent mieux l’originalité de sa production. On y voit un travail qui, de plus en plus, s’en va vers un lyrisme et qui est toujours une réappropriation, une déconstruction très juste d’une architecture monumentale et du pouvoir qui s’en sert.

Jusqu’au 28 avril
Musée d’art contemporain