10 ans d’arts visuels : De toutes les couleurs
De grands moments, il y en a eu plusieurs en arts visuels depuis 10 ans. De tous les acteurs du milieu culturel que nous avons fréquentés depuis, nous en avons rencontré trois, histoire de voir la suite des choses.
En mai 1998 (volume 7, numéro 21), l’exposition Rodin faisait la une de Voir. John Porter, directeur du Musée du Québec, disait alors: "Les retombées de tels événements sont considérables." Et elles ont été bel et bien réelles. Depuis, le Musée du Québec a réalisé et accueilli plusieurs expositions d’envergure comme celle du peintre Tissot ou Le Retour des trésors polonais. Sans compter l’augmentation de la fréquentation du Musée et son rayonnement international. Mais la plus intéressante des conséquences, c’est la toute nouvelle politique d’accessibilité que le Musée s’apprête à mettre en vigueur: "Il y a une volonté, au sein du conseil d’administration du Musée, de rendre plus accessibles les collections appartenant à la collectivité, explique John Porter. Nous allons dorénavant les rendre accessibles en tout temps!" Désormais, nous pourrons aller gratuitement voir et revoir les tableaux des années 1950 de Riopelle, son Hommage à Rosa Luxembourg, une scène hivernale de Jean-Paul Lemieux, la collection d’art québécois. Enfin! Toute la collection permanente du Musée nous appartient. C’est une invitation à prendre possession de notre patrimoine culturel. Le Musée du Québec est la première institution à faire le grand pas? Que cet exemple puisse servir aux autres!
Ce n’est pas tout. Lorsqu’on demande à John Porter quel rôle peut jouer le Musée du Québec dans la diffusion de l’art qui se fait, le directeur nous réserve encore quelques surprises: "Une des particularités du Musée du Québec, c’est son mandat historique (l’art du XVIIIe siècle à nos jours). Et, toute proportion gardée, notre engagement en art contemporain est considérable." Qu’on pense notamment à l’exposition Le Ludique de l’automne dernier. Pour John Porter, ce qu’il faut maintenant, ce sont de nouveaux espaces: "Il faut que le Musée ait les moyens et gagne des espaces neufs et complémentaires. Des espaces où on puisse exploiter les nouvelles technologies pour pouvoir s’éclater comme le réclament plusieurs jeunes artistes (…) J’aimerais bien avoir une antenne dans Saint-Roch, pour travailler avec l’énergie vive!" Décidément! Non seulement les collections du Musée du Québec seront disponibles gratuitement, comme c’est le cas depuis longtemps dans les musées d’Angleterre, mais le Musée entend aussi rayonner au centre-ville comme le fait le Guggenheim dans Soho. On croit rêver! Rien ne semble donc à l’épreuve de John Porter, pour qui les projets les plus fous sont toujours soutenus par sa passion pour l’art.
Les expériences de Claudie Gagnon
De la passion, il en faut aussi pour créer, produire, inventer. Ce qui ne manque pas chez Claudie Gagnon dont le travail baroque demeure difficile à classer: "Je ne fais pas de la provocation. Ce n’est pas mon but! Je fais ce que je veux." Ces propos tenus en octobre 2000 (volume 9,numéro 39) sont ceux de Claudie Gagnon, qui présentait son cabaret Petits miracles misérables et merveilleux à l’occasion de la première édition de la Manifestation internationale d’art de Québec. Depuis, elle poursuit son travail avec la même détermination. Toujours à sa guise? "Je suis quand même dans un système complexe… avoue-t-elle. Je fais ce que je veux, autant que je peux!" Imprévisible, Claudie Gagnon n’est pas toujours là où on l’attend. D’ailleurs, elle termine tout juste un projet dans le cadre de l’événement montréalais Vasistas dont elle revient complètement enchantée. En collaboration avec le théâtre La Chapelle, elle a donné un atelier de tableaux vivants. En une douzaine d’heures, elle a "monté un show" avec un groupe de gens de divers horizons: "C’est une expérience humaine exceptionnelle. De la création comme j’en n’ai jamais vue. De la création brute…" dit-elle, allumée.
Celle qui a choisi de récupérer ses matériaux continue de travailler à partir de "rien": "Pour Vasistas, j’ai rempli mon char de cochonneries, j’ai monté la scène, j’ai proposé un cadre… J’étais la fille qui a rendu possible la chose." Celle qui conserve toujours un regard critique sur le milieu des arts visuels a toujours besoin d’aller voir ce qui se fait ailleurs. En témoignent ses occupations pour les prochains mois: elle travaille avec l’organisme Folie-Culture dans un centre communautaire de Saint-Sauveur. Une ancienne école, un local et des gens psychiatrisés avec qui elle est en plein processus créatif. Le groupe prépare un spectacle, des sketches. Ses membres vont chanter, parler, écrire. On est encore loin de la représentation publique. Pour l’heure, Claudie Gagnon semble des plus stimulées par ce travail qui enrichit sa vision de la création. Une attitude altruiste précieuse qui fait sortir son art du champ spécifique des expositions dans les galeries et les musées. Cela fait d’elle aussi et surtout, une artiste ancrée dans sa communauté.
La condition de l’artiste
Depuis 10 ans, Voir s’intéresse autant aux grandes expositions, aux réseaux parallèles qu’aux lieux de diffusion privés. En témoigne cette rencontre qui avait lieu avec Luc Archambault en décembre 1999 (volume 8, numéro 47). Ce peintre continue de témoigner avec une égale ferveur de la condition économique précaire que vivent tant d’artistes. Celui qui disait alors qu’"il n’y a pas de raison pour que le commerce des tableaux ne soit pas aussi actif que celui de la chanson" n’a pas changé son fusil d’épaule. Impossible de ne pas être solidaire avec la condition précaire de beaucoup d’artistes. Archambault produit depuis 28 ans: céramique, peinture, gravure, oeuvres publiques. C’est toujours avec respect que nous envisageons son travail, une attitude que nous souhaitons cultiver à l’égard de tous les artistes que nous fréquentons.
Malgré la situation incertaine de sa Galerie d’un jour, Archambault continue de créer, de produire et de diffuser dans son espace temporaire Les Façades de la gare. Son leitmotiv demeure toujours de nous interpeller sur le manque de vigueur du marché de l’art au Canada comme au Québec. Et il a longuement réfléchi sur la question. Pour lui, "l’art est le dernier bastion de notre pureté perdue". Il n’est pas le seul à penser ainsi. En 1997, alors que les Ateliers ouverts faisaient la une de Voir, l’artiste Céline Allard déplorait quant à elle le manque d’intérêt du public pour les arts visuels: "Ça ne semble pas faire partie de la culture des gens. Parfois, on a une BMW dans la cour et on a des posters dans le salon. Il y a de sérieux problèmes avec l’art." La situation a-t-elle changé depuis?