Greg Curnoe – Serge Lemoyne: deux nationalismes? : Lance et compte
L’exposition Greg Curnoe – Serge Lemoyne: deux nationalismes? interroge l’engagement de ces deux artistes majeurs dans l’art canadien des dernières décennies. Le texte du catalogue et l’itinéraire de l’exposition donnent aux oeuvres de Curnoe et de Lemoyne une seconde vie réflexive. Quand l’art permet de penser les délicates questions nationales.
"Contre les contres" tracé à coup de peinture rouge sur un tableau noir et blanc, c’est la façon dont Serge Lemoyne (1936-1992) rendait hommage à Borduas en 1983. Lemoyne, cet artiste québécois connu pour ses multiples références au club de hockey Canadien, pour sa pratique de l’estampe, pour sa controversée maison transformée en oeuvre d’art… Carl Johnson, directeur du Musée régional de Rimouski et conservateur de l’exposition, a eu la brillante idée de jumeler l’art de Serge Lemoyne avec celui de l’artiste ontarien Greg Curnoe (1936-1992) dont les oeuvres, à l’instar de celles de Lemoyne, comportent des statements autant politiques qu’esthétiques. L’exposition fait un arrêt au Musée du Québec après celui de Rimouski, les London Regional Art and Historical Museums et le Musée d’art du Centre de la Confédération de Charlottetown. Elle terminera sa tournée canadienne en 2003 au Musée des beaux-arts de Sherbrooke. Ce projet en est un d’envergure pour le Musée régional de Rimouski. C’est aussi un type de collaboration que le Musée du Québec souhaite cultiver et un cadeau pour Carl Johnson. Entre deux avions et au détour d’une conversation, Johnson s’est interrogé sur notre particularité identitaire toute québécoise incarnée dans la langue, qui demeure une sorte de rempart contre la culture états-unienne, alors que la langue n’apparaît pas si fondatrice pour les habitants du ROC (rest of Canada). Éternelles questions d’identité, de territoire, d’engagement et de nationalisme que cette exposition met à l’ordre du jour en donnant la parole à deux artistes. Nonobstant l’ouverture aux dialogues que permet la réunion de ces deux artistes, l’exposition a d’emblée le mérite de nous faire découvrir l’oeuvre de Greg Curnoe.
Les oeuvres-pamphlets de ces deux artistes, comme autant de drapeaux qui prennent parti pour leurs cultures spécifiques, peuvent nous paraître presque sages aujourd’hui. Conservent-elles une dimension offensive certaine, le simple fait qu’elles se retrouvent désormais entre les quatre murs du Musée semble en cristalliser les discours. À moins que les musées soient en voie de devenir des hauts lieux d’activisme culturel! Cela ne devrait tout de même nullement nous empêcher d’apprécier leurs choix esthétiques et les voies que ces artistes ont choisies pour exprimer certains enjeux politiques. Le potentiel discursif de ce duo posthume est donc notable: Lemoyne mettait en valeur la spécificité culturelle québécoise par les références à la culture populaire (dont le hockey est un bon exemple), Curnoe par son affirmation d’un nationalisme canadien plus géographique, teinté d’un anti-américanisme sans compromis. En témoigne America (1989-1990), où Curnoe a peint une carte du territoire américain en omettant les États-Unis. Ces prises de position radicales de l’artiste ontarien nous permettent de sympathiser d’emblée avec son discours critique et, qui plus est, son nationalisme n’entre pas en conflit avec le nationalisme québécois! D’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne sont mis en péril. En 1977, dans un texte aquarellé sur un fond jaune, Curnoe proposait à ses compatriotes la question référendaire suivante: "Which nation do you want to be separate from: Québec or the United States?" Partisan du développement des cultures régionales, Curnoe vivait à London et rejetait la domination culturelle de villes telles New York ou Toronto. Une position politique qui s’incarne concrètement et trouve un écho dans le présent dans celle d’un musée comme celui de Rimouski, qui travaille à la diffusion de l’art contemporain en région…
Jusqu’au 19 mai
Au Musée du Québec
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