Mode ralenti : Le temps suspendu
Arts visuels

Mode ralenti : Le temps suspendu

À l’Espace VOX, l’exposition Mode ralenti, succédant à celle intitulée Mode accéléré, propose un couple théorique assez faible. À une expo sur la lenteur, j’aurais préféré une expo sur la grève, sur l’indiscipline, sur la désobéissance: idées bien plus dangereuses pour le capitalisme.

Après la vitesse, voici la lenteur. On ne peut guère dire que l’Espace VOX ait choisi des thèmes totalement originaux pour l’ouverture de ses nouveaux locaux! On est loin des concepts de cru et de cuit de Lévi-Strauss, permettant une compréhension profonde des structures d’une société… Il n’est pas question de demander un tel niveau d’analyse. Cependant, l’exposition Mode ralenti, succédant à celle intitulée Mode accéléré, propose un couple théorique assez faible, car il joue sur des clichés populaires sans vraiment les remettre en question ou les analyser.

Nous n’aurions plus le temps de rien faire, le monde urbain serait frénétique et stressant, il y aurait une "difficulté de l’individu contemporain à s’adapter à la haute vitesse", nous serions dans "une nouvelle culture du temps"… Ralentissons! Voilà bien des idées reçues qui iraient dans le dictionnaire de Flaubert sur le sujet.

Quand donc avons-nous eu plus de temps? À la fin du 19e siècle, quand la loi prescrivait une limite de 12 heures de travail par jour pour les hommes et de 11 heures pour les femmes ainsi que les enfants dans les manufactures? Ou bien avant, quand on faisait encore plus trimer le peuple? Et la campagne a-t-elle déjà été moins stressante pour les agriculteurs? Si la problématique a un fond de vérité – l’exploitation des gens par le capitalisme imposé ou intériorisé -, le texte de présentation associe cela trop rapidement avec le monde contemporain et les nouvelles technologies. "Une étrange folie possède les classes ouvrières. Cette folie est l’amour du travail." Cette phrase a été écrite par Paul Lafargue en 1880 dans son livre Le Droit à la paresse! Voilà qui d’ailleurs aurait été un concept plus embêtant que la lenteur. Mais, nous dit le texte de présentation, "la lenteur n’est pas synonyme de paresse, elle est plutôt le signe de la disponibilité de l’individu à se laisser atteindre par l’événement imprévu ou le sens inattendu". On a déjà vu outil de résistance et de contestation plus fort. Que le capital nous garde bien d’être paresseux et non disponible! À une expo sur la lenteur, j’aurais préféré une expo sur la grève, sur l’indiscipline, sur la désobéissance: idées bien plus dangereuses pour le capitalisme.

Quant à la notion d’un monde existant en direct grâce aux nouvelles technologies, ce qui aurait changé notre vision du monde, elle n’est pas nouvelle non plus. Depuis l’invention du télégraphe, puis avec le téléphone et la télé, les technologies se sont servies de cette idée d’instantanéité pour prouver leur nécessité. Mais que celles-ci aient "profondément transformé notre rapport au temps", ainsi que les valeurs politiques et les rapports de force véhiculés par elles, la démonstration reste à faire!

Vers la résistance
Pourtant, cette expo est bien plus satisfaisante que le premier volet présenté en début d’année. Les ouvres exposées tiennent mieux la route, en ralentissant ou en accélérant. Ceci à l’exception de l’essai visuel (quel drôle de concept!) de Vincent Lavoie, une autre vision très clichée. Lavoie nous donne à voir en permutation des images tirées du réseau de webcams qui existe sur la planète. Rien ne s’y passe, mais on pourrait dire cela de bien d’autres systèmes. Internet, c’est aussi le retour du courrier, de l’écrit, des échanges (parfois réussis, parfois ratés) sur les chats et pas seulement la monstration exacerbée d’un vide existentiel. Disons-le bien clairement: la technologie n’est pas un mal en soi. Ses usages peuvent l’être. C’est comme si on dénigrait l’imprimerie parce que celle-ci a permis les journaux à potins…La pièce de Jana Sterbak pose le problème de notre tolérance. Faire parler un bègue me semble une belle idée, mais lui faire lire la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen me paraît un peu illustratif. Mais Sterbak frôle souvent le littéral. Son Generic Man, avec son code-barre dans le cou, était déjà de cet ordre. Néanmoins, une pièce qui a le mérite de nous obliger à réfléchir sur le flux de la parole. La série de photos L’Artiste au travail, de l’Autrichien Klaus Scherübel, ne manque pas de mordant. L’artiste s’y montre au cinéma, dans un magasin de meubles, à la bibliothèque… Une manière de résister à la productivité mais aussi une façon de désacraliser le processus de création. Avec la pièce de Rodney Graham – montrant un homme qui dort dans une voiture le menant Dieu sait où! -, elle est un beau pied de nez au système productif.L’idée d’Emmanuelle Léonard est elle aussi très bonne. Léonard a donné des caméras à des travailleurs pour qu’ils photographient leur lieu de travail. Des fermiers, un comptable, une éboueuse, un avocat, une infirmière, un coiffeur, même un prêtre et un ministre (Jacques Léonard) ont répondu à la demande de l’artiste et ont ainsi interrompu le ronron de leur labeur. Il ne manque plus qu’un croque-mort et une nounou pour que ce portrait social soit complet! Dans l’esprit de Courbet qui, à son époque, voulait donner en art une place aux travailleurs. Cela change de l’esthétique du pouvoir que beaucoup de photographes incarnent ces temps-ci, tel Andreas Gursky que le critique Jean-Max Colard, dans le journal Les Inrockuptibles, a justement qualifié de "photographe officiel du néolibéralisme triomphant". Une pièce que le syndicaliste Chartrand (et sa belle Simonne) ne renierait certainement pas!

Jusqu’au 26 maiÀ l’Espace VOX