Biennale du Whitney : En pièces détachées
La 71e édition de la Biennale du Whitney Museum, qui se déroule jusqu’à la fin mai à New York, ne passera pas à l’histoire. Notre critique nous en donne un compte-rendu.
L’événement, inauguré en 1932 par Gertrude Vanderbilt Whitney, ne vit pas son heure de gloire. Déjà, il y a deux ans, la critique l’avait unanimement descendu. Encore cette année, seuls une poignée d’artistes – sur les 113 sélectionnés – tirent leur épingle du jeu.
Les problèmes débutent avec les trois grands thèmes qui structurent vaguement cette biennale: Êtres, Espaces et Tribus. Les deux premiers sont extrêmement larges et guère pertinents. Bien sûr, il est difficile de trouver des thématiques permettant de réunir des productions parfois très disparates. Mais justement, c’est le travail des commissaires d’une telle exposition que de dégager dans la prolifération en apparence chaotique de l’art contemporain des idées récurrentes. Le sujet des tribus (tout comme celui du clan, du groupe, de la communauté) est quant à lui très juste pour parler de l’art actuel et de notre société post-famille nucléaire, mais il n’a pas été ici assez développé. Quoique le sujet de cette biennale aurait pu aussi être la jeunesse, l’enfance ou l’adolescence, l’art actuel se faisant de plus en plus bon enfant. Jugez par vous-même.
Ari Marcopoulos a suivi un groupe de jeunes snowboarders dans leurs pérégrinations, presque comme des nomades à travers la planète, de la Suisse au Japon, en passant par l’Iran. Il nous montre une suite de photos et un vidéo où ces jeunes vivent tout le temps ensemble. Visuellement, c’est assez beau, mais intellectuellement, ce n’est qu’une simple réitération des notions d’héroïsme et de courage. Ces jeunes défient-ils vraiment le groupe conventionnel, telle la famille? Bien qu’il ait vécu avec eux et qu’il se considère comme un anthropologue de leur monde, Marcopoulos reste à la surface de son sujet. Dommage, l’idée était prometteuse.
Bien plus intéressantes intellectuellement sont les images de Janine Gordon, qui photographie généralement des groupes de jeunes hommes: culturistes, danseurs nus, boxeurs… Ici, elle montre des jeunes en train de danser, presque en transe, lors d’un concert punk-rock. Des photos très intenses où le corps semble se libérer des contraintes. Ceux qui aiment danser sauront de quoi je parle…
Une des meilleures pièces de la biennale est sans nul doute l’oeuvre de Collier Schorr. Elle pose, elle aussi, son regard sur la masculinité et la jeunesse. Pour réaliser sa série de photos, elle a pris comme modèle un ensemble de dessins d’Andrew Wyeth montrant une jeune fille nue, Helga, posant pour le maître. Schorr a recréé avec un garçon, Jens F., ce processus de création. Elle l’a suivi entre 17 et 20 ans, lui faisant reprendre les gestes d’Helga. Même si elle n’a pas imposé, comme Wyeth, la nudité totale à son modèle, le spectateur se sentira devant ces images un peu comme un voyeur. Schorr annote ses photos des commentaires de Jens sur ses poses. Celui-ci remarque qu’il a de la difficulté à tenir ses mains comme dans les dessins, que certaines poses sont trop féminines, qu’elles représentent trop "des signes pour les hommes". Il se demande également si elle a eu une liaison avec le peintre… Du coup, Schorr s’interroge elle aussi, se demandant si Helga résistait aux demandes du peintre, si elle jouait les codes de la féminité pour celui-ci ou si elle posait naturellement… Une idée simple, parfois drôle, qui permet de remettre en vie le dispositif finalement très étrange du modèle et du peintre le croquant avec son crayon ou son pinceau…
Je noterais aussi la présence dans cette biennale de Julie Moos, qui nous parle de groupes un peu différents, mais où néanmoins se jouent et se réécrivent des rapports de force. À la suite d’une tuerie dans une école, elle a décidé de réaliser une série intitulée Amis et ennemis. Elle y montre des jeunes d’un collège sans nous dire leur lien… À nous de nous y retrouver. Comment se perçoivent les rapports de force? L’appareil photo est-il capable de capter cette violence douce ou, au contraire, l’amitié profonde qui existe entre les êtres? Avec une seconde série de domestiques posant avec leur maître, Moos insiste astucieusement sur ce point.
Quant aux cinq pièces installées dans Central Park et qui constituent comme le volet art public de cette biennale, seules les sculptures de Kiki Smith valent le détour. Smith poursuit son interrogation sur les représentations animales et sur ce que l’homme cherche à prendre ou à donner comme qualité aux animaux. Un projet très pertinent.
Pour en savoir plus, sans avoir à vous déplacer, vous pouvez consulter le site Internet www.whitney.org.
Jusqu’au 26 mai
Musée Whitney à New York
à signaler
L’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) lance une nouvelle exposition: Le Salon de Printemps de Montréal. C’est le premier événement parrainé par son nouveau directeur Mark Lanctôt, en place depuis février dernier. Une ribambelle d’artistes en font partie: Ève Cadieux, Karilee Fuglem, Serge Lemoyne, Johannes Zits… Roberto Pellegrinuzzi y montrera une oeuvre inédite, un triptyque que j’ai extrêmement hâte de voir. Huit galeries catalanes y seront aussi représentées par leurs poulains.
Le vernissage aura lieu ce soir 18 avril à partir de 18 h, au 4e étage de l’Hôtel Delta (475, avenue du Président-Kennedy). Une performance orchestrée par Evergon sera le clou de la soirée. L’événement se poursuit jusqu’au 21 avril.