Bourdelle : Coulé dans le bronze
Bourdelle , c’est l’exposition de l’été au Musée du Québec. Cent soixante oeuvres, plusieurs sculptures majeures et nos coups de coeur: un bon Centaure mourant, une Pénélope puissante et une superbe Sappho, absorbée et fière.
"Faites de chaque jour présent une réparation de vos passés blessés. Il n’y a d’abandonnés éternels que ceux qui se quittent eux-mêmes… Il n’est pas de mort si totale que de douter complètement de soi." Ces pensées sont d’Antoine Bourdelle (1861-1929). Le sculpteur français – collègue de Rodin, pour qui il a travaillé de 1893 à 1908 – n’est peut-être pas aussi connu que le célèbre sculpteur, mais il a sa place dans les livres d’histoire de l’art et désormais, dans notre musée imaginaire. Il a été reconnu de son vivant, a réalisé les reliefs du Théâtre des Champs-Élysées entre 1911 et 1913, il a notamment participé à l’Armory Show de New York en 1913 et a eu plusieurs commandes de monuments en Amérique latine. Cette rétrospective nous fait découvrir et apprécier son art. De ses oeuvres de jeunesse à sa fascination pour Beethoven dont il a réalisé plusieurs effigies ("En écoutant tout récemment Beethoven, il me semblait qu’au lieu de la voir, j’entendais la sculpture", disait Bourdelle), en passant par le Grand Guerrier et Héraclès archer, nous parcourons enchantés le musée devenu labyrinthe. Cette première nord-américaine nous vient du Musée Bourdelle – l’ancien atelier parisien du sculpteur est devenu un musée depuis 1949. Elle est organisée en collaboration avec la conservatrice adjointe du musée consacré à la sculpteure Véronique Gautherin, grande spécialiste de Bourdelle. Ainsi, comme elle l’expliquait avec éloquence, toute la modernité de son art s’inscrit dans une rupture avec la volonté d’imiter la nature et se rapproche du symbolisme où il s’agit de "suggérer plutôt que dire".
Si le parcours des deux premières salles nous est apparu comme un passage nécessaire, presque pédagogique, c’est au terme de notre visite dans la troisième salle où se trouvent les oeuvres de maturité, que l’expérience esthétique a succédé à l’intérêt historique. C’est tout le potentiel expressif de la sculpture qui s’est alors manifesté. Le Centaure mourant (de la famille des chevaux à tête et à torse d’homme) commandé par le maire de Buenos Aires et réalisé en 1914, c’est au delà de la référence mythologique revisitée selon Bourdelle, "un certain type d’homme en train de disparaître" pour reprendre les mots de Véronique Gautherin. Et ce bon Centaure: quelle figure attendrissante de maladresse! Par delà le sujet, il y a dans l’art de Bourdelle "un goût pour la synthèse et la simplification [des formes]", rappelle la conservatrice. Même travail formel dans la statue de Pénélope sans fuseau et de la remarquable Sappho à laquelle nous devons plus que des poèmes. La poétesse grecque, créatrice du lyrisme érotique, dont les vers firent scandales dans l’Antiquité dut s’exiler dans l’île Lesbos. Ces moeurs homosexuelles affirmées, on ne supportait plus sa présence à Athènes… d’où le mot lesbienne inventé par les comiques attiques. Bref, le majestueux bronze de 1924-1925 nous la montre s’appuyant sur une lyre, symbole de la poésie. La composition est presque géométrique; le traitement par plans. Même si chez Bourdelle, "le sujet disparaît devant la recherche purement formelle", cette Sappho est bien là: résistante et remarquable par la force et le pouvoir féminin qu’elle dégage. Une découverte. À vous de faire la vôtre…
Jusqu’au 15 septembre
Au Musée du Québec
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Terroir, fétichisme et exotisme: la peinture selon Bernard Girard
C’est simple: c’est une des meilleures expositions de peinture depuis l’ouverture de Rouje en août dernier. Regardez bien aller Bernard Girard, ce jeune peintre de Chicoutimi. Quand on arrive devant ses tableaux, on le sait tout de suite. Il se passe quelque chose. Sa peinture volontairement léchée puise dans le vocabulaire surréaliste et symboliste, condense des personnages habillés à l’orientale sur fond de forêt d’épinettes; des femmes excentriques doublées de machinerie agricole ou de pieuvres…
La peinture de Girard est non seulement sans affectation, mais ne vise pas non plus à faire plaisir ou à séduire. Son travail est actuel et fait écho à des préoccupations contemporaines. Tout est dans le choix des sujets (insolites), les couleurs (vives et électrisantes) et la composition (photographique). En plus, Girard a un coup de pinceaux très sûr. Le seul hic: les prix demandés sont trop élevés pour cette jeune production et ne correspondent pas à la réalité de sa position dans le marché de l’art. Un peu de sérieux! Bernard Girard, chez Rouje, jusqu’au 19 mai.
Muses et hommes
Il faudra se rendre à Trois-Rivières pour voir les gravures sur bois de l’artiste belge Thierry Lenoir présentées au Centre de diffusion Presse-Papier. Provocateur, son "oeuvre noire et mordante" montre l’homme dans tous ces états: petits diables pervers, nudités provocantes et cie. Pince-sans-rire, s’abstenir. Jusqu’au 26 mai.