Rétrospective Yoko Ono : La transparence des choses
Arts visuels

Rétrospective Yoko Ono : La transparence des choses

Présentée à Toronto, la rétrospective YOKO ONO, qui fêtera ses 70 ans l’an prochain, ainsi que ses 48 ans de carrière, est placée sous le signe de sa liaison avec John Lennon. Pourtant, il y a une oeuvre autonome et riche qui se cache derrière ce couple surmédiatisé.

Le visiteur qui parcourra la rétrospective Yoko Ono à la Art Gallery of Ontario (AGO) de Toronto sera en droit de se demander qui est l’objet de toute cette attention: c’est l’artiste, membre fondatrice du mouvement Fluxus, ou la femme du célèbre John Lennon?

Je préférerais passer sous silence ce lien qui unit Ono à cette icône du 20e siècle, décédée il y a maintenant plus de 20 ans, pour me consacrer uniquement au contenu de son travail créatif propre. Mais à l’évidence, cet aspect de sa vie est incontournable pour parler de sa création, l’un et l’autre se mélangeant. Le but de son art n’était-il pas de changer la vie? Détestée par plusieurs, considérée comme une des forces de rupture des Beatles, elle semble bénéficier de nos jours d’une réévaluation de sa production personnelle; mais comme cette expo le souligne fortement, et peut-être trop, cela reste encore très lié à sa vie avec Lennon.

Entre Ono et Lennon – qui se sont rencontrés en 1966 à Londres – s’est constituée une forme de dynamique amoureuse, créatrice, intellectuelle et politique qui a trouvé son apothéose dans le célèbre bed-in pour la paix, en 1969. En mars de cette même année, le couple se mariait, et Ono voulut utiliser cet événement comme outil de publicité contre la guerre du Vietnam. Dans une chambre de l’hôtel Hilton à Amsterdam, puis à Montréal au Reine Elizabeth, ils invitèrent donc la presse à venir écouter leur message de non-violence. On peut d’ailleurs voir une image de cet événement montréalais dans l’expo.

Pour Noël 1969, le couple fit installer sur un immense panneau publicitaire, à Times Square, le slogan WAR IS OVER; if you want it, signé de leurs prénoms. John et Yoko sont du coup devenus un duo artistique, et cela donc pas uniquement en musique. Cela ne fut d’ailleurs pas sans risques pour Ono, puisque son travail personnel en arts visuels s’en est trouvé éclipsé, avalé par la notoriété de son conjoint.

Dès l’entrée de l’expo, la production de cette artiste, qui fêtera ses 70 ans l’an prochain ainsi que ses 48 ans de carrière, est placée sous le signe de sa rencontre avec le célèbre Beatle. Parfois cela est un peu agaçant. L’installation Ceiling Painting (Yes Painting) permit leur rencontre, Lennon ayant été très impressionné par cette pièce. Telle autre oeuvre – Painting to Hammer a Nail – leur servit de prétexte pour discuter. On a même droit dans un panneau explicatif à la narration de l’échange en question…

Pourtant, il y a une oeuvre autonome et parfois riche qui se cache derrière cette image surmédiatisée. Issue d’une riche famille de banquiers japonais, Yoko Ono a démarré sa carrière dès 1955 à New York. Dans le mouvement Fluxus, il y a une attitude anti-art et anti-bourgeois, ainsi qu’une interrogation sur le tissu social et les rapports de pouvoir que l’artiste a su personnifier avec intelligence. La série des Instructions à être réalisées par le spectateur est composée de petites recettes toutes plus curieuses, poétiques et anti-objet d’art les unes que les autres… Un exemple, la Smoke Painting: "Allumez une toile ou un tableau avec une cigarette, à n’importe quel moment, pendant une période indéterminée. Suivez le mouvement de la fumée. La peinture est terminée lorsque la toile ou le tableau a entièrement disparu."

Simple, mais très exemplaire de cette époque et d’un esprit moderniste. Dans la lignée des dadaïstes qui voulaient se servir des tableaux de musées comme de planches à repasser… Sa performance Cut Piece de 1965, où elle demandait aux membres du public de couper chacun un morceau de ses vêtements, la laissant finalement nue, était nettement plus terrible. Dans l’esprit de la Shooting Piece de Chris Burden où il se faisait tirer une balle dans le bras devant un public médusé qui se faisait ensuite engueuler par lui, se faisant reprocher son inaction, sa soumission et son désir de devenir des moutons qui suivent le groupe.

Une oeuvre qui n’est cependant pas à l’abri de quelques ratés, plusieurs oeuvres étant même très clichées. Certaines sont le signe d’une innocence assumée et étrangement activiste très présente dans les années 60 et 70, d’autres, le simple résultat d’un manque de profondeur. L’installation Play it by Trust de 97, composée d’un jeu d’échecs où toutes les pièces du jeu sont blanches, est platement digne du travail d’un adolescent étudiant en arts dans un cégep. Mais que voulez-vous, c’est signé Yoko Ono…

Jusqu’au 20 mai
À la Art Gallery of Ontario, à Toronto

Le cas Tremblay
Fascinant cas artistique que celui d’Ève K. Tremblay. Tout juste sortie de l’Université Concordia où elle a fait un bac en arts visuels, à la fin de 2000, elle nous offrait avec son Éducation sentimentale un premier solo à la Galerie Occurrence qui se révéla une grande réussite. Elle y traitait, avec un doigt de perversion, de l’apparition du désir chez les jeunes filles. Puis avec Les Dédales d’Ariane, exposition présentée en septembre 2001 à la Galerie L’Oil de poisson, à Québec, elle récidivait en imageant à nouveau le système de la pulsion, mais cette fois en parlant de ses méandres parfois illogiques comme ceux d’un labyrinthe. Une métaphore simple mais qui était extrêmement bien présentée dans la petite salle de la galerie, qui se trouvait à devenir comme le cul-de-sac de ce labyrinthe.

Ces jours-ci, Ève K. Tremblay – en collaboration, pour deux installations moins réussies, avec l’artiste Michel de Broin – est au Centre d’exposition Circa avec cette fois des photos traitant des rêves, des modèles de récits qui peuvent nous servir de bases pour inventer nos vies.

Ses images ressemblent à des fragments de contes. Les titres, qui paraissent si souvent insignifiants dans les expos d’art contemporain, sont ici très actifs par rapport à l’image. Ils participent à cette atmosphère d’histoires pour enfants, légendes et même récits bibliques qui meublent tous nos inconscients littéraires: La Magicienne, En attendant le Martien, L’Arbre de la connaissance, Adam et Ève fument des cigarettes… Oscar Wilde, qui disait que "c’est la vie qui imite l’art, et non l’art qui imite la vie", serait ravi. Les images parfois énigmatiques semblent demander notre participation, une suite narrative à inventer peut-être dans nos propres vies.

Un cas à surveiller attentivement. On se demande bien comment les désirs et les rêves artistiques de cette jeune femme vont se développer.

Jusqu’au 25 mai
Au Centre d’exposition Circa