Model citizens : Squelettes dans le placard
Les jeunes photographes Carlos et Jason Sanchez proposent une exposition sur le thème de la Mafia. Un sujet original, inspiré du roman noir.
Pour reprendre une célèbre phrase dite par Marlon Brando dans Le Parrain: "Les frères Sanchez m’ont fait une offre que je ne pouvais pas refuser." Vous aussi, vous devrez la considérer avec attention… En effet, la proposition artistique de Carlos et Jason Sanchez mérite un sérieux examen. L’atmosphère mafieuse qui se dégage de l’ensemble de leurs photos vous donnera froid dans le dos.
Leur expo, intitulée Model citizens, propose une série de meurtres, ou des scènes évoquant le gangstérisme. Presque à chaque fois s’y énonce une tension entre une situation du quotidien et un danger qui plane… Ces citoyens parfaits ont quelques squelettes dans leur placard!
Dans la photo Impérial, un couple s’embrasse tendrement à l’arrière-plan alors qu’à l’avant-plan le pied et la jambe d’une femme nous disent un corps gisant… Pas loin, une image montre un homme guettant avec grande inquiétude à sa fenêtre la venue d’une personne énigmatique.
Le double discours si caractéristique de la Mafia est bien présent. Cela est en effet proche du Parrain qui dans une même phrase commande un meurtre et demande à ses complices s’ils s’occupent bien de leur famille… L’espace intime et familial, habituellement sécuritaire, se trouve ici envahi par des forces dangereuses et bien puissantes. Symboliquement, les Sanchez nous disent que l’espace de la famille – pas nécessairement mafieuse – est toujours hanté.
Certes, parfois cela fait un peu trop penser à Jeff Wall. Mais j’ai senti à travers cette référence poindre une vision plus personnelle. Tout comme dans les photos d’Ève K. Tremblay – dont je vous parlais la semaine dernière -, des récits appartenant à la mémoire collective semblent fonder l’espace privé. Ici, ce ne sont pas des légendes et des contes qui servent de référence mais plutôt le cinéma de gangsters ou les romans noirs. Comme si les individus avaient besoin de ces récits pour réfléchir l’intime.
Seul défaut de cette expo: j’aurais aimé voir plus de nouvelles photos de ces jeunes hommes, plusieurs des images présentes ayant déjà été vues lors de l’expo de fin d’année des étudiants en arts de Concordia, au printemps 2001. Dommage.
Néanmoins, les frères Sanchez sont à surveiller. Je les ai à l’oeil. La prochaine fois, ils sont mieux de mettre en scène de nouveaux crimes, sinon…
Jusqu’au 25 mai
Espace 306 de l’édifice Belgo
372, rue Sainte-Catherine Ouest
Jeux vidéo
Dans le milieu des arts, les nouvelles technologies et l’informatique promettent beaucoup. C’est en tout cas ce qu’on nous répète régulièrement lors de présentations d’installations interactives ayant des ordinateurs comme cerveau. Mais, jusqu’à maintenant, force est de reconnaître que dans ce domaine les pièces intéressantes sont extrêmement rares. Bien souvent, elles demeurent ludiques, n’atteignant presque jamais un niveau esthétique ou intellectuel. De plus, l’interactivité promise est souvent très limitée, le spectateur devant souvent se plier à la machine plutôt que l’inverse – ce qui serait souhaitable.
Ce n’est pas l’exposition des nouveaux médias de la Finlande intitulée F2F, à la Galerie Liane et Danny Taran du Centre Saidye Bronfman, qui me fera changer d’opinion. Bien sûr, cela peut être parfois amusant et distrayant, mais le tout reste en général au niveau du jeu vidéo.
Parmi les oeuvres plus intelligentes, j’ai noté mirror++, de Juha Huuskonen, installation vidéo qui transforme les mouvements du spectateur en un kaléidoscope projeté sur un grand écran. Le spectateur qui jouera le jeu devra supporter le regard des autres visiteurs en redevenant comme un enfant. Ici, l’aspect vidéo et visuel l’emporte largement sur l’aspect bébelle informatique. La fausse critique du système de consommation de Tuomo Tammenpää ou la cible de Kristian Simolin ne m’ont qu’à moitié convaincu. Pour le reste… Bof! Rien de très nouveau.
Jusqu’au 2 juin
Centre Saidye Bronfman
à signaler
C’est Claire Savoie qui recevra aujourd’hui le prix Graff 2002. Voilà une récompense bien méritée, cette artiste ayant en effet durant les dernières années créé des pièces d’une grande qualité. On se rappellera ses formidables chambres à bulles et chambres à mots qui composaient ses installations Une date, le nom d’un lieu et l’heure d’un rendez-vous et Quelque chose qu’on croit pouvoir tenir dans la main, oeuvres présentées chez Articule en 1998, et chez Skol en 2000. Le prix Graff, d’un montant de 3 000 $, a été institué en 95 à la suite de la mort de Pierre Ayot, et "est remis à un artiste de plus de 35 ans ayant à son actif un minimum de 10 ans de production". Le jury était composé de Jean-Philippe Uzel, Jocelyne Connolly, Bernard Landriault, Hélène Poirier et Angèle Verret, qui, l’an dernier, recevait ce même prix.