Janet Cardiff : Le sixième sens
L’univers de l’artiste canadienne JANET CARDIFF mélange réalité et fiction et confond nos sens. Le Musée d’art contemporain présente une rétrospective de son oeuvre. Un solo de LYNE LAPOINTE, avec des pièces inégales, accompagne cette exposition.
Elle a gagné le Prix spécial du jury de la Biennale de Venise en 2000 et celui du Millénaire, octroyé par le Musée des beaux-arts d’Ottawa, en 2001. Pour couronner le tout, elle vient d’avoir, cet hiver, une rétrospective de son oeuvre au célèbre centre d’art P.S. 1 à New York. L’artiste canadienne Janet Cardiff, née en Ontario en 1957, a le vent dans les voiles. Pourquoi son art est-il aussi prisé? Vous pourrez jugez par vous-même de la pertinence de sa création puisque l’expo de P.S. 1 est montrée ces jours-ci au Musée d’art contemporain (MAC).
Comment aborder cette oeuvre?
Commençons par une mise en garde. Dans son travail, il y a, à un premier niveau, un aspect illustratif qui peut paraître un peu simple. Cardiff, avec pour beaucoup de pièces son complice George Bures Miller, traite des illusions présentes dans les systèmes de représentation. Cela a été souvent dit. La caverne de Platon n’est pas loin! L’univers de Cardiff mélange réalité et fiction et confond nos sens grâce à de petits théâtres en trompe-l’oeil – presque des théâtres de marionnettes pour enfants – qui créent des effets de profondeur monumentale, ainsi qu’avec des jeux sonores plus vrais que vrais. Il est toujours bon de rappeler qu’il n’y a jamais de réalisme en art et qu’il n’y a que des effets de réalisme, des visions toujours personnelles du monde.
Mais heureusement, cette première lecture n’est qu’un masque… Ce niveau est présent pour séduire le spectateur. Et pour cela, il doit être respecté. Je ne renierais pas mon plaisir devant de telles illusions sensorielles. Je ne tomberais pas dans cette "peur du divertissement souvent présente dans le milieu de l’art" contre laquelle Cardiff nous met en garde. Disons qu’il y a dans son oeuvre un second niveau bien plus subtil et plus profond. Un travail sur le son qui débouche sur une réflexion sur l’écoute, sur la parole, sur la mémoire qui est presque de l’ordre de la psychanalyse. Écouter quelqu’un, qu’est-ce que cela veut dire? Entendre la vie qui s’écoule, qu’est-ce que cela implique? Cardiff, avec sa série de Promenades – des bandes sonores qui demandaient aux spectateurs de suivre un parcours réel commenté -, travaille avec finesse notre sens de l’écoute aux sons ambiants, aux rires, aux cris, aux récits chuchotés… Un répertoire très raffiné des manières de conter. Une sensibilité à la musique de l’air et à l’aura des êtres qui utilise la séduction pour être encore plus opératoire.
Jusqu’au 8 septembre
Au Musée d’art contemporain
Lyne Lapointe
Un solo de Lyne Lapointe, composé de pièces inégales, accompagne cette présentation de Janet Cardiff. Après l’expo réalisée avec sa complice Martha Fleming (en 98 au MAC), qui avait été unanimement célébrée par la critique, cette présentation déçoit un peu. Autant j’ai aimé la deuxième salle (à une ou deux exceptions près), autant j’ai peu apprécié la première. Peut-être est-ce dû au fait que j’avais de très grandes attentes… Peut-être aussi que certaines créations sont plus faciles – esthétiquement parlant – que d’autres.
Certaines oeuvres sont totalement réussies, exécutées avec une vision tranchante, sans aucune concession ou joliesse. L’Autoportrait de 1999, presque entièrement noir, est une belle surprise, un tableau abouti, un acte de contestation du narcissisme que le genre propose. Les pièces Quinte ou Éclipse sont aussi à mettre du côté des réussites. Se dégage de cette deuxième salle une atmosphère sophistiquée, mystérieuse et décadente tout à fait fin de siècle – le 19e – que ne renierait pas le personnage de Des Esseintes dans le roman À rebours de Huysmans.
D’autres oeuvres me semblent au contraire tomber dans une iconographie un peu facile qui séduira un public plus large et moins averti. C’est le cas de Quatuor et spectre et de Tigre, qui sont vraiment trop décoratives. Elles auraient leur place dans n’importe quel intérieur cossu. L’esthétique du cabinet de curiosités, qui date un peu, commence-t-elle à perdre de sa fonction critique par rapport à l’idée de collection ou de musée? Je le crois.
Jusqu’au 13 octobre
Au Musée d’art contemporain
Nu académique
Toujours au MAC, le visiteur pourra voir dans le hall d’entrée, jusqu’au 8 septembre, les photos que l’artiste américain Spencer Tunick a prises en mai de l’an dernier sur le parvis de la Place des Arts et aux alentours, dans le cadre de l’expo Métamorphoses et clonage. Plus de 2000 personnes s’étaient alors dévêtues pour le photographe.
Je ne suis toujours pas convaincu de la force critique de son projet. On est loin de la contestation des nuvites qui se répandaient comme une traînée de poudre dans les années 60-70, et même de l’impact du nudisme au 20e siècle. Dans une société américaine très pudibonde où les seins nus sont interdits sur les plages, cela a peut-être une certaine pertinence. Mais en Europe (dans plusieurs parcs au coeur des grandes villes allemandes, on peut se faire bronzer intégralement) ou au Québec (il suffit d’aller à Oka), où les sociétés sont bien plus ouvertes d’esprit par rapport au corps nu, je ne vois pas nécessairement "la révolution"… Certains, après s’être déshabillés pour Tunick, parlaient d’une expérience "libératrice, cathartique", une manière d’accepter son corps et soi-même. Mais, sans tomber dans la psychanalyse, se connaître soi-même, c’est plus que se mettre à poil quelques minutes dans une marée de corps nus, le temps d’une photo. Mais bon, à chacun sa recherche d’identité!