Jean-Pierre Gauthier au MBA : Le retour du réel
Échotriste, une installation de Jean-Pierre Gauthier au Musée des beaux-arts, est une très grande réussite. Une des meilleures expositions de l’année à voir toutes affaires cessantes.
Sous aucun prétexte, il ne faut rater cette exposition! Il s’agit de l’installation de Jean-Pierre Gauthier qui a débuté la semaine dernière au Musée des beaux-arts (MBA) dans l’espace Zone libre dédié à l’art actuel. Stéphane Aquin, conservateur de l’art contemporain au MBA, a vu juste en confiant cette salle à cet artiste. La pièce qui y a été réalisée, intitulée Échotriste, est une très grande réussite.
Comment décrire cette création étonnante? De quoi s’agit-il? D’un réseau de tuyaux, de fils, de miroirs, de ressorts (le tout produisant des sons et des vibrations parfois retravaillés par un système de remixage électronique) qui occupe l’espace d’une manière très organique. La structure tubulaire sinueuse semble avoir poussée là comme des branches ou des tiges, les fils noirs qui alimentent le système en électricité apparaissent comme des lianes suspendues au plafond. Le tout a l’air animé d’une vie propre. Les bruits qui émergent de l’ensemble sont comme les grognements d’un animal, peut-être même ceux de sa digestion? En effet, le spectateur aura le sentiment d’être à l’intérieur d’une structure vivante, d’un fin réseau tentaculaire. Lorsque ce dernier se met à bouger (des capteurs font réagir certaines parties de l’ensemble à nos mouvements), le visiteur aura vraiment l’impression d’être un corps étranger prêt à être enserré, étouffé et dévoré, telle une souris par un serpent… On se croirait presque dans les entrailles d’un être vivant. Comme si toutes les infrastructures qui habitent nos maisons et immeubles (plomberie, fils et câbles électriques, téléphoniques…) que nous oublions se mettaient à exister, à montrer leur présence. Gauthier nous offre presque une maison hantée!
Cette oeuvre est la digne héritière de l’art post-minimaliste. Les filages font un peu penser aux pièces très organiques d’Eva Hesse. Voilà un travail sur le post-industriel qui ne manque pas d’intelligence. Il s’agit d’une réappropriation des matériaux non issus du monde de l’art, provenant plutôt de l’industrie et ayant perdu leurs fonctions premières. Dans cette voie on pourrait aussi citer le travail de Richard Serra qui a utilisé des matières brutes. Je vous ai souvent souligné comment une esthétique post-minimaliste et parfois carrément minimaliste ressurgit en art contemporain depuis quelques années. C’est à l’évidence la meilleure voie qu’il puisse prendre. Une autre direction, celle de l’ironie, de la dérision et du kitsch qui est très Jeff Koons, est en comparaison d’une légèreté intellectuelle qui ne fait pas le poids. Mais elle est bien sûr plus accessible au public, plus proche d’une iconographie de bandes dessinées. Au mieux, une douce contestation de l’aliénation de nos vies par des images aseptisées. Entre la poursuite très koonesque et très rentable du filon du pop art – en bien moins bon – et la réflexion sur l’héritage minimaliste, Gauthier choisit la voie la plus difficile mais aussi la plus pertinente. La matérialité exacerbée de ces différents éléments souligne la présence du monde qui nous entoure et des mécaniques de son fonctionnement. Gauthier continue donc de nous surprendre. Lors de la Biennale de Montréal en 2000, il avait été l’un des plus talentueux artistes avec Nicolas Baier et Massimo Guerrera. Il poursuit ici son oeuvre originale. Voilà une pièce qui aurait sa place dans les meilleurs événements internationaux d’art contemporain à travers le monde. Signalons qu’Échotriste est accompagnée par une plus petite pièce que Gauthier avait déjà montrée, entre autres lors de l’expo Le Ludique à Québec l’an dernier. Un chariot avec des produits de nettoyage semble avoir été laissé là dans un coin juste à côté d’une salle. Mais, phénomène étrange, le tout semble produire des bulles de savon ainsi que des mouvements sporadiques des brosses à nettoyer… Les musées ne sont pas après tout si aseptisés que ça!
Jusqu’au 22 septembre
Musée des beaux-arts de Montréal
À signaler
La Triennale de la relève québécoise en art revient pour sa seconde édition l’an prochain, du 16 avril au 8 juin au Marché Bonsecours. Les organisateurs de cet événement, intitulé L’art qui fait boum!, lancent un appel de dossiers. Cette année, il y a deux sections où les artistes peuvent soumettre leur candidature: la première concerne les arts visuels, la performance et les arts médiatiques; la seconde – qui est une nouveauté de cette édition – donne la place au cinéma, au court métrage et à la vidéo (de moins de 30 minutes). Les conditions d’admissibilité consistent en deux points: résider au Québec depuis au moins un an et avoir moins de 10 ans de pratique professionnelle. Vous faites parvenir vos dossiers à L’art qui fait boum! – seconde édition, 300, rue Saint-Paul Est, Montréal (Québec) H2Y 1H2. Vous avez jusqu’au 1er octobre 2002. Information: (514) 270-4499 ou www.artquifait boum.qc.ca.