Riopelle au Musée des beaux-arts : Art et pouvoir
Jean-Paul Riopelle a-t-il été un grand artiste? Voilà une question qui pourrait paraître bien saugrenue… À l’occasion de l’ouverture au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) de la première rétrospective de son oeuvre montée après sa mort – survenue le 12 mars dernier -, certains pourraient même trouver cette interrogation quelque peu choquante. Les éloges ne fusent-ils pas de partout?
Jean-Paul Riopelle
a-t-il été un grand artiste? Voilà une question qui pourrait paraître bien saugrenue… À l’occasion de l’ouverture au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) de la première rétrospective de son oeuvre montée après sa mort – survenue le 12 mars dernier -, certains pourraient même trouver cette interrogation quelque peu choquante. Les éloges ne fusent-ils pas de partout? Riopelle n’est-il pas un des grands monstres sacrés de notre culture? Célébré à plusieurs reprises dans son propre pays, consacré par de nombreuses rétrospectives ici mais aussi à l’étranger – dont une majeure au réputé Centre Georges Pompidou à Paris en 81 -, Riopelle ne semble pourtant plus avoir la même cote internationale qu’il a eue il y a seulement une dizaine d’années lorsqu’un de ses tableaux s’est vendu pour 1,4 million de dollars américains dans une vente aux enchères à New York. Cet événement l’avait propulsé au premier rang, au titre d’artiste canadien le plus cher. Il était alors le premier de nos créateurs dont une des oeuvres dépassait la barre du million de dollars!
Étrangement, depuis quelque temps, sa renommée semble en baisse. Même les Français, qui l’ont accueilli et défendu pendant de nombreuses années, l’ont déjà oublié. Cette rétrospective n’a pas trouvé preneur dans un musée français… Et ses tableaux ne sont majoritairement plus achetés que par des Québécois ou des Canadiens.
Dans le catalogue de l’exposition qui vient de débuter au MBAM, le commissaire de l’événement, Stéphane Aquin, écrit très justement que la mort de Riopelle est passée quasiment inaperçue dans la presse étrangère. Aquin note aussi qu’en 50 ans, la fortune critique du peintre s’est inversée: "Célèbre à l’étranger et ignoré des siens au début des années 50, Riopelle est devenu une légende au Québec et un souvenir plus ou moins diffus dans ces métropoles qui l’ont vu jadis briller."
La reconsidération à la baisse de son oeuvre laisse un goût un peu amer. Il est un des rares artistes québécois à avoir réussi à l’étranger. Son passage définitif aux oubliettes de l’histoire serait bien triste pour notre culture…
La question reste donc posée. Cette déconsidération est-elle un jugement injustifié? Un verdict tenant compte, maintenant qu’il est mort, de l’ensemble de son travail, ou simplement un des aléas de la mode? Voici l’heure d’un bilan malheureusement pas totalement positif.
Un grand peintre
Il faut avouer que cette expo montre un Riopelle pas très bon sculpteur. La série de hiboux est assez faible. Le bronze Hibou-Pelle réalisé en 69-70 me semble une réflexion sur le totémique pas très nouvelle pour l’époque. Giacometti a fait bien mieux et bien avant. Par rapport à ce qui se fait au même moment – art minimal, post-minimal, land art -, Riopelle apparaît un peu déconnecté avec ses objets au symbolisme animalier un peu facile.
Mais cette petite rétrospective, composée en partie des oeuvres de la collection du MBA, permet de réaffirmer clairement l’immense talent du peintre. Cela est indéniable pour l’époque des années 50 et 60. À cet égard, l’expo démarre en lion avec le célèbre triptyque Pavane (1954) placé magistralement en haut du grand escalier du Pavillon Michal et Renata Hornstein du MBA. Prêtée pour l’occasion par le Musée des beaux-arts du Canada, cette toile est une totale réussite formelle. Et l’émerveillement continue dans les deux premières salles qui représentent en fait la véritable raison pour laquelle il faut aller voir cette exposition. La seconde salle est une pure merveille. De la grande peinture. Le visiteur y verra toute une série de tableaux des années 54-55, au moment où Riopelle travaille avec la technique dite des "mosaïques". S’y retrouvent: un autre célèbre tableau, intitulé Autriche, présent dans la collection du MBA depuis un don en 1963; La Roue, oeuvre achetée par le Musée comme plusieurs autres l’an dernier, grâce à une aide spéciale du gouvernement du Québec; mais aussi Le Jacob Chatou, L’Oiseleur… Ces derniers tableaux, comme plusieurs autres dans l’expo (en fait 16 des 31 présentés), proviennent de la collection de la compagnie Power Corporation qui possède des pièces assez exceptionnelles. J’aurais aimé en voir encore plus de cette période.
Mais cette rétrospective montre aussi les creux dans la production du grand peintre. Je dois dire que je n’aime guère certaines pièces des années 70. Par exemple, Le Quatuor en blanc, Soleil de minuit me semble redondant par rapport à son travail plus ancien. Mais Riopelle a su nous réserver des surprises. Le début des années 90 a été un tournant qu’il faut considérer avec attention. Ses pièces réalisées avec des bombes aérosol, pas toujours prisées par la critique, sont souvent de grandes réussites.
Si bien qu’au bout du compte, Riopelle sort gagnant de ce bilan. Alors pourquoi ce manque d’intérêt international?
En fait, cette réévaluation pose à nouveau cruellement une question essentielle au domaine de l’art: celle des fondements du jugement esthétique. La valeur d’une oeuvre dépend-elle du lieu où l’artiste crée et surtout où il expose? Dépend-elle aussi de la richesse de ce lieu? L’histoire de l’art ne serait-elle que l’histoire de nations puissantes? Un reflet du luxe que se paient les pays régnant sur le monde? Les arts français et anglais dominèrent la planète de la fin du 18e siècle au début du 20e siècle, moment où leur pays était au sommet de leur pouvoir. L’art américain les a supplantés après la Seconde Guerre mondiale… Il n’y aurait donc pas de chef-d’oeuvre universel qui transcenderait l’argent et le pouvoir? Avec chauvinisme, les Américains défendraient-ils avant tout leurs artistes? Joan Mitchell, avec qui Riopelle a entretenu une relation amoureuse et artistique pendant plus de 20 ans, a cet été une importante rétrospective de son oeuvre au Whitney Museum à New York. Est-elle une bien meilleure artiste que Riopelle? J’en doute. Même Sam Francis, qui est moins bon peintre que Riopelle, voit ces temps-ci ses oeuvres très prisées et vendues à des prix supérieurs aux prix des Riopelle… Que voulez-vous, il est américain!
Jusqu’au 29 septembre
Musée des beaux-arts de Montréal