Invitation au voyage : Panorama de la création actuelle
Invitation au voyage, une expo présentée conjointement cet été dans trois maisons de la culture – Ahuntsic-Cartierville, Frontenac et Plateau-Mont-Royal -, est une bonne manière d’effectuer un survol de la création en arts visuels et en littérature au Québec.
Voici une exposition qui est presque comme un dictionnaire de la création artistique du Québec contemporain. Dans Invitation au voyage, on trouve une liste assez impressionnante d’artistes peintres, dessinateurs, photographes, vidéastes: Serge Clément, Peter Krausz, Michel Goulet, Isabelle Hayeur, Randall Finnerty, Patrick Coutu, Eve K. Tremblay…
Déjà, cela augure bien. D’autant plus que certaines images sont exceptionnelles. Raymonde April remontre une de ses photos bien connue et toujours aussi fabuleuse. Sa Journée de chute, où des nageurs nus se prélassent au soleil, est paradisiaque. Dennis Ekstedt utilise la peinture avec brio sans pour autant tomber dans une pure fascination pour l’onctuosité de la matière picturale. Gabor Szilasi a juxtaposé avec grande intensité deux images obsédantes. L’une d’entre elles montre un quartier de viande ouvert en deux qui fait penser au Boeuf écorché de Rembrandt. Même la personne qui nous regarde à travers la carcasse réussit à réactualiser l’attitude malicieuse de cette femme qui, chez le peintre néerlandais, nous zieutait avec intensité.
Mais comme si cela n’était pas suffisant, cette expo est aussi l’occasion de rencontrer une belle liste d’écrivains: Nicole Brossard, Suzanne Jacob, Denise Desautels, Wajdi Mouawad, Guillaume Vigneault… Cet événement, présenté cet été dans trois maisons de la culture – Ahuntsic-Cartierville, Frontenac et Plateau-Mont-Royal -, est donc une bonne manière pour le public d’effectuer un rapide survol de la création en arts visuels et en littérature au Québec.
Les commissaires – Liette Gauthier, Joanne Germain, Louise Matte – ont mis sur pied un dialogue entre 35 artistes des arts visuels et 35 écrivains québécois qui n’est pas toujours d’égal intérêt – loin de là – mais qui est néanmoins majoritairement fructueux. Et ce, malgré l’aspect périlleux de ce genre d’exercice qu’est l’exposition de groupe. Les artistes actuels ne veulent presque jamais réaliser une pièce spécialement pour ce type d’événement et, plus souvent qu’autrement, les oeuvres exposées semblent avoir été comme coincées dans un débat théorique ou esthétique qui n’est pas le leur. Ce fut, par exemple, le cas avec Janet Cardiff lors du Prix du Millénaire au Musée des beaux-arts à Ottawa. L’artiste me confiait comment elle n’avait pas modifié son oeuvre pour l’événement portant sur la notion de nature, avec laquelle sa pièce – une installation sonore – n’avait que peu de lien.
Néanmoins, l’expérience est ici concluante. Les commissaires ont trouvé une belle idée, simple mais efficace.
Pour cet événement, les 35 écrivains – plus humbles, peut-être, que les artistes en arts visuels – ont élaboré un court texte pour une oeuvre visuelle qui leur a été soumise. Le visiteur aura donc le sentiment de lire comme une piste d’interprétation de l’oeuvre, une manière de l’aborder. La majorité du temps, les textes ne tombent pas dans la simple illustration de l’image, ce qui était bien sûr le piège d’un tel dispositif. Voilà qui est sympathique mais qui pourrait aussi poser problème pour une autre raison.
Le retour de la narration
Pendant très longtemps, les arts visuels ont été soumis au domaine du littéraire. Un tableau ou une sculpture se devait d’illustrer un récit de la Bible, de la mythologie ou de la grande Histoire. Et puis, au début du 19e siècle, les arts se sont lentement libérés de cette contrainte. Dès le romantisme, le sublime laissait le spectateur sans mot devant l’expérience de l’oeuvre. Cette expo pourrait donc sembler un peu étrange. S’agirait-il d’un retour à une façon archaïque de faire?
Il faut dire qu’en art, le récit revient fortement depuis près de 20 ans. Par exemple, la trans-avant-garde italienne dans les années 80 faisait de nouveau référence à des mythes anciens. Et c’est une tendance qui s’amplifie. Jeff Wall, à la Documenta de Cassel cette année, a fait un peu comme le peintre Nicolas Poussin qui, au 17e siècle, renvoyait ses spectateurs à la lecture du texte ayant servi de base à son image. Un carton, à côté de la photo, indiquait au visiteur où il pouvait aller acheter le livre The Invisible Man de Ralph Ellison…
On sortira de cette expo en réalisant comment le pouvoir des images réside dans leur capacité à produire en nous des récits, à entraîner une fantasmagorie narrative. Le cas de Yan Giguère est exemplaire. Son exceptionnel Portrait de Marie, tel un photogramme d’un ancien film en noir et blanc, semble arrêter le temps et nous invite à le poursuivre. Pourquoi ce corps sur le sol? Que va-t-il se passer? On se plaît alors à projeter du sens. C’est le récit que l’oeuvre induit plus que celui qu’elle illustre qui constitue en fait la qualité d’une pièce.
Jusqu’au 24 août
Maisons de la culture Ahuntsic-Cartierville, Frontenac et Plateau-Mont-Royal