Doug Hall / Ivan Binet : Déjà vu
Arts visuels

Doug Hall / Ivan Binet : Déjà vu

L’Américain DOUG HALL et le Québécois IVAN BINET présentent cet été chez VOX des photographies qui exposent le spectacle du monde. Pour en finir avec la contemplation.

Pour sa troisième présentation dans ses nouveaux locaux du Marché Bonsecours, l’Espace VOX a opté pour deux solos plutôt que pour une exposition collective thématique. Et c’est tant mieux. Cette fois-ci, pas de thèse, plus ou moins pertinente, à défendre sur la vitesse de nos sociétés contemporaines et sur la lenteur comme réponse à cette prétendue accélération de nos vies. Lors des deux derniers événements, cela fragilisait les photos exhibées, qui devenaient du coup peu convaincantes, ramenées à n’être que des illustrations d’un propos qui n’était pas toujours le leur.

L’expo de cet été chez VOX est composée des images de deux photographes, l’Américain Doug Hall et le Québécois Ivan Binet, qui poursuivent néanmoins une réflexion commune. L’un et l’autre montrent le monde comme un spectacle, comme des tableaux prêts à être admirés. Et tous deux semblent avoir un regard très critique sur cette vision de la planète devenue un paysage divertissant.

Avec ses Landscapes et Leisurescapes, Hall montre à égalité des lieux très touristiques comme la place d’Espagne ou la fontaine de Trevi à Rome, et des espaces de vacances et de récréation comme des parcs aquatiques (avec fausses vagues) à Las Vegas ou à Yokohama au Japon. Quant à lui, Binet expose le paysage presque comme le faisaient ces panoramas si à la mode au 19e et au début du 20e siècle. Ses photos oblongues, qui devraient plonger le spectateur au coeur de la réalité du paysage ainsi capté, semblent étrangement presque fausses, arrangées entre autres grâce à la manipulation par ordinateur. Elles sont ponctuées de beaux moments qui font image (ici des billots de bois, là des caravanes et des tentes de campeurs) ou d’anecdotes (tel un camion-citerne renversé) qui les rendent plus attrayantes. Le spectateur est renvoyé dans les deux cas à son désir de voir un monde distrayant et frôlant parfois le kitsch (plus présent chez Hall mais apparaissant tout de même aussi chez Binet).

Mais ne tombons pas pour autant dans une critique facile de la société contemporaine. La planète n’a peut-être pas été "disneyifiée". Ou en tout cas, ce n’est peut-être pas un phénomène si récent et si simple. "On ne va plus à la mer mais à une représentation de la mer, écrit le théoricien Michaël Lachance dans le texte de présentation. Certains diront même que nous n’avons jamais été à la mer, que nous n’avons jamais quitté nos représentations." Et il n’a peut-être pas tort. Il faudrait se rappeler, par exemple, l’impact de certains peintres comme Claude Gellée dit le Lorrain sur notre vision du paysage. À la suite de ses tableaux aux couleurs chatoyantes qu’il a peints au 17e siècle, les artistes, mais aussi toute une classe de nobles et de bourgeois, utilisaient de petits miroirs colorés pour regarder la campagne européenne. Celle-ci fut d’ailleurs souvent réaménagée par les riches propriétaires terriens pour avoir encore plus un air pittoresque, c’est-à-dire pictural, similaire aux tableaux du maître français… L’art imite la nature ou serait-ce plutôt la nature qui imite l’art? Binet et Hall nous confrontent à une mythification du monde, ce qui n’est pas nécessairement synonyme de mystification. Le problème n’est pas dans le fait que le monde soit mythifié, transformé par l’homme, mais réside plutôt dans les valeurs véhiculées par ces mythes.

Voici une expo intéressante, d’autant plus que Binet, qui est très connu sur la scène artistique à Québec, a enfin un solo à Montréal. Sa série de photos en couleur retiendra particulièrement l’attention. On appréciera aussi la série de Doug Hall, qui a souvent fait des images très proches de celles de Candida Höfer et de l’école très froide des clones-élèves des photographes allemands Becher. Même si elles font souvent penser au travail de l’Italien Massimo Vitalli, les images de Hall sont néanmoins impeccables, plus senties et plus personnelles que celles produites par l’école allemande qui domine à l’heure actuelle.

Jusqu’au 18 août
À l’Espace VOX

Maux de tête
Vous avez certainement entendu parler de l’expo Sensation qui à Londres et à New York avait créé un certain scandale avec des oeuvres de qualité très inégale. Parmi les vedettes de cet événement, Marc Quinn exposait alors un moulage de sa tête qui évoquait les films d’horreur. Composé de neuf pintes de son propre sang congelé, il était maintenu dans cet état dans une sorte de glacière transparente. Eh bien, dans la maison londonienne de son propriétaire Charles Saatchi, ce congélateur aurait été accidentellement arrêté et ladite pièce a malheureusement fondu! Des ouvriers venus agrandir la cuisine du propriétaire auraient tout simplement coupé le courant qui alimentait cette oeuvre payée 12 000 livres (plus de 25 000 dollars) et qui s’est transformée en une flaque sur le sol… Comme quoi il n’y a pas que la renommée des vedettes d’un jour qui fonde comme neige au soleil.