Marie-Jeanne Musiol : Regard public
L’an dernier, le Musée d’art urbain, sous la direction de France Gascon, avait regroupé le travail de plusieurs artistes importants. Malheureusement, pour sa seconde année d’existence, le projet est moins fort.
L’art public intéresse beaucoup de monde. Peut-être trop! L’historien de l’art Paul Ardenne – même s’il n’a pas toujours une vision très subtile de l’art – écrivait justement qu’"aucune société ne répugne à l’oeuvre d’art publique". Il y a une valeur institutionnelle dans cette forme d’art qui, plus souvent qu’autrement, oblige l’artiste qui s’y adonne à produire une intervention qui ne dérange personne.
L’art public se doit d’être grand public, comme on le dirait d’un film pour tous, c’est-à-dire familial; bref, comme l’affirmait l’historienne de l’art Lise Lamarche, presque invisible! Quand la pièce est vraiment intéressante (je pense à Titled Arc de Richard Serra; ou à La Famille de Robert Roussil, avec son homme nu – statue ARRÊTÉE par la police montréalaise en 1949!), elle est souvent retirée du lieu public où elle avait un impact. L’art public, plus c’est banal, mieux c’est…
Le projet médiocre d’Artevista qui tapisse les murs de Montréal en est un exemple. Certains diront qu’il vaut mieux que les panneaux publicitaires soient occupés par des oeuvres d’art, même très moyennes, plutôt que par des images stéréotypées mercantiles. Pour ma part, je dirais que la médiocrité n’a jamais élevé personne.
C’est pourquoi, l’an dernier, j’étais très heureux de voir naître le Musée d’art urbain sous la direction de France Gascon, une spécialiste de l’art contemporain. Le spectateur avait alors admiré dans la ville le travail de Clara Gustche, Raymonde April, Claude Tousignant, David Blatherwick, Gilles Milhalcean et Kamila Wozniakowska. Malheureusement, pour sa seconde année d’existence, le projet est moins fort.
Cette année, une seule artiste est à l’affiche: la photographe Marie-Jeanne Musiol. Certes, je trouve très réussis les deux doubles portraits exhibés (l’un, au coin de Cherrier et Saint-Denis; l’autre, sur la façade du Marché Bonsecours). Ils sont intenses. Dans les deux cas, deux visages sont juxtaposés. Le spectateur se sent obligé de les regarder avec attention, traquant, un peu comme dans ces jeux de chercher l’erreur, les différences entre les représentations. Une manière de lutter contre l’indifférence du regard dans le tissu urbain.
Quant aux photos de paysages prises à Auschwitz, je dois dire qu’elles m’ont presque exaspéré. Ce n’est pas parce qu’une image a été croquée à proximité d’un camp de concentration qu’elle est nécessairement de qualité. Que l’on me comprenne bien: le devoir de mémoire est essentiel, mais l’usage de cet événement ne me semble pas toujours acceptable. Quand on lit dans le communiqué de presse que "la nature est devenue un témoin de l’histoire et des souffrances qui l’ont traversée", on a juste envie de tristement sourire… Car si la douleur ressentie devant de tels lieux est encore plus déchirante, c’est que justement ni le ciel ni la terre ne semblent avoir bronché devant les horreurs des hommes. Même les représentations ont leurs limites.
L’exercice est donc un peu facile. Bien des représentations de l’Holocauste et des nazis manquent de pertinence. Le cinéma américain en est plein. Pourtant, le documentaire Shoah de Claude Lanzmann nous a montré que le devoir de mémoire était bien plus complexe. Lanzmann démontrait comment, même dans la Pologne contemporaine (1985), persistait encore un profond antisémitisme de la part de ceux qui avaient pourtant été témoins de ces atrocités!
La Shoah appelle à un "devoir de lucidité dans le présent". La montée de Le Pen et de l’extrême droite en Europe nous le rappelle bien plus qu’un paysage…
Jusqu’au 1er juin 2003
Vieux-Port de Montréal
Façade sud du Marché Bonsecours
Façade nord du Café Cherrier
Pour plus d’information: www.museedarturbain.com