Jérôme Fortin : L’univers des formes
Connaît-on bien l’art de Jérôme Fortin et celui de Denis Juneau? Trois expos permettent enfin de les découvrir en profondeur.
Ici et là, ces dernières années, l’amateur a pu admirer le travail de Jérôme Fortin, malheureusement trop souvent présenté au compte-gouttes. En 99, une merveilleuse et unique vitrine composée de petits objets était exhibée dans la petite salle de la Galerie Skol. En 2000, à la Maison Beaudry et à la Galerie de l’UQÀM, ses présentations nous laissaient encore sur notre faim. Chaque fois, ses apparitions ravissaient la critique et le public qui voulaient en voir davantage.
Voici enfin l’occasion de se faire une idée plus générale de sa création grâce à une mini-rétrospective au Musée d’art de Joliette (ville d’origine de Fortin) ainsi qu’à un solo à la Galerie Pierre-François Ouellette. Ces deux événements permettent de dresser un bilan extrêmement positif de sa courte production.
Au Musée de Joliette, le visiteur pourra suivre sa carrière depuis ses débuts dans le cadre de l’exposition La Jeune Relève lanaudoise, en 96, dans ce même musée. On y reverra aussi l’exceptionnelle pièce Des fleurs sous les étoiles (réalisée en 97), qui tient à la fois du reliquaire et de la boîte de souvenirs que les enfants constituent avec quelques brindilles et bouts de ficelle.
Ces capsules de bouteilles, morceaux de cigarettes, cartons d’allumettes et autres petits riens qui composent l’humble part de nos univers de vie deviennent – légèrement modifiés par Fortin – dignes des artefacts trouvés par des ethnologues ou des archéologues. Fortin nous dit qu’ils sont les objets de nos rituels.
Du coup, le spectateur se trouve confronté à la notion d’interprétation que bien des scientifiques, mais aussi les historiens et les critiques d’art, expérimentent continuellement. Méprise et erreur de sens constituent à la fois la tache aveugle de ces professions, mais aussi la force plastique de ces objets.
Voici donc une expo intelligente et, de plus, visuellement merveilleuse. Et cela, même si j’aime beaucoup moins les dernières productions de Fortin, faites de bouteilles de plastique déchiquetées en fines bandes. Elles font penser, entre autres, aux murales de Jean-Paul Mousseau au métro Peel. S’y énonce certainement une critique de la peinture auto-réflexive et de la plasticité attrayante de notre monde de consommation; mais ces contenants recyclés expriment un contenu écologique qui me semble un peu trop littéral, une opposition trop simple entre l’art réfléchissant ses moyens d’existence et un art engagé.
Des récentes pièces de Fortin, je préfère les assemblages de fils d’appareils téléphoniques, qui ressemblent à des colliers ou à des coiffes de tribus sud-américaines, ainsi que les montages de livres pliés que l’on peut voir à la Galerie Pierre-François Ouellette. Des cahiers à colorier, des guides de la route et même la célèbre revue Parachute deviennent dans ce processus de pures formes, composant des reliefs muraux.
Jusqu’au 5 janvier 2003
Musée d’art de Joliette
Jusqu’au 8 septembre
Galerie Pierre-François Ouellette
Denis Juneau
Le charisme, la popularité médiatique, mais aussi la notoriété bien méritée de certains créateurs plongent-ils dans l’obscurité le travail de plusieurs autres, pourtant tout aussi pertinent? Par exemple, les artistes de Refus global ont-ils éclipsé (malgré eux) les autres créateurs de leur époque et même beaucoup de ceux qui leur ont succédé? Toujours au Musée d’art de Joliette, une exposition en provenance du Musée du Québec – où elle fut montée en début d’année – permettra de corriger un de ces malheureux oublis de l’histoire.
La production de Denis Juneau (né en 1925) est malheureusement méconnue. Élève d’Alfred Pellan, membre de la seconde vague des plasticiens avec Guido Molinari et Claude Tousignant, son oeuvre n’a pourtant rien à envier aux recherches plastiques de ses confrères de la génération précédente, ni aux jeux de vibrations colorées de ses célèbres collègues. Cette rétrospective élaborée par la commissaire Nathalie de Blois, et qui permet de considérer 85 oeuvres réalisées entre 1949 et 2000, en est la démonstration éclatante. On y découvre en particulier comment les années 60 et 70 ont été fructueuses pour Juneau. L’époque des Contrepoints (74-78), où les pièces sont épurées au maximum, en est un moment fort. La sérigraphie Ronds dans l’espace bleu ou bien le tableau Harmonie sont de très belles réussites formelles. Bien sûr, on pourra lui reprocher, comme à plusieurs autres plasticiens et artistes abstraits, l’aspect un peu trop décoratif de certaines pièces. Voici un art qui est une recherche visuelle et plastique très pointue. Or, à l’heure actuelle, l’aspect "recherche pure" ne doit plus nécessairement se faire par un repli du médium sur ses constituants propres. Mais il faut se rappeler comment cela s’avérait une nécessité absolue à une certaine époque, une manière de combattre toutes les incursions des pouvoirs politique, religieux, mercantile et publicitaire dans la sphère de l’art.
Jusqu’au 8 septembre
Musée d’art de Joliette