Chassé-croisé : Les obsédés de l’art
L’exposition Chassé-croisé: art populaire et art indiscipliné, présentée au Château Dufresne, montre une dizaine d’artistes autodidactes, marginaux par rapport au milieu de l’art, poussés par une surprenante force créatrice.
Je ne crierai pas au génie méconnu. Je ne vous ferai pas non plus croire au talent inné ne nécessitant presque aucun apprentissage. Je ne vous dirai pas non plus que le milieu de l’art s’est embourgeoisé et que les vrais créateurs sont à l’extérieur du réseau officiel des galeries et des musées. Non, rien de tout cela ne serait vraiment défendable.
Pourtant, l’exposition Chassé-croisé: art populaire et art indiscipliné, présentée au Château Dufresne, montre une dizaine d’artistes autodidactes, marginaux par rapport au milieu de l’art, poussés par une force créatrice surprenante et presque spontanée. Ces créateurs ne trouvent pas leur légitimation et motivation dans la reconnaissance par le milieu, dans des articles de revues prestigieuses ou dans des participations à de célèbres biennales… La plupart de ces artisans pratiquent la sculpture, l’installation ou le collage, souvent en parallèle avec leur métier, poussés par une force plus grande qu’eux. Dans l’histoire de l’art, ils sont comme une énigme revenant sans cesse. Les représentants les plus connus de ce phénomène sont le Français facteur Cheval et l’Américain Simon Rodia.
Cette expo a le grand mérite de dévoiler l’importance de ce mouvement artistique au Québec. Dans une première partie – montée par les commissaires Valérie Rousseau et Jean Simard -, on retrouve plusieurs merveilles anciennes comptant parmi la collection personnelle de Pierre Riverin. Depuis les années 60, celui-ci a réuni toute une série de pièces issues de cet art populaire tout en collectionnant aussi l’art contemporain. Parmi les artistes qu’il affectionne, on retrouve Félicien Lévesque (1916-2001), Yvon Côté (1914- 1995), Edmond Châtigny (1895-1992), Oscar Héon (1901-1975)… La deuxième partie – élaborée par Sarah Lombardi et Valérie Rousseau – montre comment des artistes toujours vivants continuent de créer dans cet esprit: Richard Graves élabore une sorte d’art environnemental en bâtissant dans la Beauce sa Maison des trois petits cochons avec des matériaux récupérés et hétéroclites; Dominique Engel construit des objets hybrides, maquettes 3D ressemblant à la fois à des vaisseaux spatiaux et à des bateaux qui font penser à l’art du belge Panamarenko; Bill Anhang réalise des sculptures lumineuses comme des arbres de Noël…
Toutes les oeuvres exposées dans cet événement ne sont pas des chefs-d’oeuvre. Loin de là. Mais plusieurs d’entre elles pourraient figurer dans bien des événements d’art contemporain ou même, pour certaines, dans des musées d’art moderne avec lequel elles ont des liens évidents. Il faut dire que ce type d’art a fasciné et inspiré bien des artistes au XXe siècle. Rappelons, par exemple, comment le travail du Douanier Rousseau était aimé par Picasso, Delaunay et Apollinaire.
Parmi ceux qui ont le plus retenu mon attention, signalons Honoré Hunt (né en 1958). Sa figure de singe ou celle montrant un corps de femme filiforme sont exceptionnelles. Ses pièces sont élaborées à partir de bois de mer, morceaux de branches ayant été polies par le flot des vagues, ce qui leur donne un aspect usé. Léo Fournier (né en 1924) me semble aussi un artiste intéressant et cela même si ses pièces sont parfois inégales, certaines étant trop jolies. Sa représentation d’Adam et Ève est néanmoins fabuleuse.
J’ai particulièrement aimé l’art de Pamerino Sorgente qui, à 84 ans, continue toujours de produire, et cela, malgré un incendie qui en décembre 2000 l’a grièvement blessé et a détruit la majeure partie de son oeuvre élaborée sur 40 années. Son travail a toutes les qualités du kitsch tant à la mode de nos jours avec en plus un je-ne-sais-quoi d’élégance. Paillettes, perles de plastique et images religieuses se côtoient dans d’immenses couvre-chefs et tableaux scintillants qui tiennent à la fois du sacré et du décoratif. Le couturier français Christian Lacroix ne s’est pas trompé en utilisant ces étranges chapeaux pour ses défilés de mode. Décidément, ce type d’art a de plus en plus la cote. Bill Anhang, qui a participé en 98 à l’événement d’art contemporain Artifice, aura d’ailleurs une expo solo au début de 2003 au Centre Saidye Bronfman.
L’événement a été monté par la Société des arts indisciplinés qui, depuis 98, défend, documente et diffuse ce type d’art populaire en marge du milieu de l’art. On peut visiter son site à l’adresse suivante: www.sai.qc.ca.
Jusqu’au 13 octobre
Société du Château Dufresne
Les images de Laliberté
Pour qui connaît l’oeuvre du photographe américain Herb Ritts, les images de Robert Laliberté ne semblent pas totalement originales. Et dans la petite rétrospective des 25 ans de carrière que l’Écomusée du fier monde lui consacre cet été, le spectateur retrouvera plusieurs images qui feront penser à l’artiste états-unien. Le cas d’Illumination, montrant un Noir recouvert en partie avec une sorte de boue séchée, en est un exemple significatif. Les clichés qui apparaissent souvent dans des revues gaies comme Fugues, exhibant de beaux corps d’hommes musclés captés par Laliberté dans des poses très esthétiques, font en effet souvent penser à Ritts ou même à Bruce Weber. Le travail de Laliberté est tout à fait dans ce phénomène de sacralisation du corps masculin, qui a pris son envol avec les célèbres publicités pour Calvin Klein au début des années 80.
Cette glorification du corps masculin a certes été une importante consécration d’une esthétique gaie où le corps des hommes et ses plaisirs sont dévoilés sans pudeur. Mais ce phénomène a aussi un côté kitsch indéniable. L’aspect souvent commercial du travail de Ritts et de Weber se retrouve aussi chez Laliberté. Et ses titres ne sont guère originaux: Séparés par l’océan des ans ou On n’est jamais trop vieux pour être jeune, par exemple.
Heureusement, cette mini-rétrospective montre aussi que Robert Laliberté a réalisé des photos plus osées… Sa série de photos de femmes âgées, dans la lignée de celles prises par Diane Arbus, nous fait voir plus clairement son talent.
Le photographe fera une visite commentée de son expo le 8 septembre à 14 h.
Jusqu’au 29 septembre
Écomusée du fier monde