Atom Egoyan au MAC : L’art guérisseur
Au Musée d’art contemporain, le réputé cinéaste Atom Egoyan propose ces jours-ci une installation visuelle et sonore qui se veut presque thérapeutique. Intitulée Hors d’usage, elle est composée de vieux magnétophones que des individus lui ont prêtés. Pour préserver la mémoire.
L’art peut-il guérir? Peut-il être un instrument permettant l’amélioration de l’état mental ou physique de son spectateur? Ne serait-ce pas une folle prétention, frôlant l’imposture, de soutenir l’idée que par la vision ou par l’écoute, le contemplateur d’une oeuvre d’art puisse retrouver sinon la santé, du moins une forme d’apaisement ou encore un certain bonheur? Charlatanisme que de prétendre cela?
Au Musée d’art contemporain, le réputé cinéaste Atom Egoyan propose pourtant ces jours-ci une installation visuelle et sonore qui se veut presque thérapeutique. Intitulée Hors d’usage, elle est composée de vieux magnétophones que des individus ont bien voulu lui prêter. Mais ces machines sont en fait un prétexte. Egoyan en a profité pour recueillir de vieux enregistrements sur rubans qui parfois n’avaient pas été écoutés depuis des décennies ainsi que des souvenirs liés à l’usage de cette technologie maintenant désuète mais qui, en son temps, créait presque un événement à chacune de ses utilisations.
Le résultat? Une simple mise en scène nostalgique à propos d’une technologie ancienne qui permet de raconter des histoires un peu arrangées et embellies avec le temps, ou plus sérieusement un travail proche de la psychanalyse? Pour Egoyan, c’est clairement la deuxième hypothèse qui prévaut. "L’esprit oublie certaines choses, mais ces technologies de l’enregistrement conservent comme intacts des moments du passé et aident à faire ressurgir des histoires anciennes. Certains de ces témoignages sont parfois douloureux et ils demanderont au spectateur deux types de responsabilité: premièrement, de ne pas être juste un voyeur et d’interagir avec ces témoignages, et donc deuxièmement, de réfléchir lui-même à son rapport à la mémoire. Le visiteur devra alors en effet presque entreprendre un processus actif d’investigation de ces récits et de son rapport aux souvenirs."
Très exemplaire de cela est l’histoire de ce musicien qui raconte comment sa mère utilisait son magnéto pour pratiquer son chant. Celle-ci, nous dit son fils, a choisi une tentative de carrière pas très fructueuse aux États-Unis… Du coup, à cause des enregistrements de chants de la mère que l’on entend derrière les commentaires de son fils, le spectateur devient lui-même sinon le juge, du moins le témoin de cette aventure. Mais plus que cela, il accompagne presque symboliquement le travail de guérison et de remémoration parfois douloureux de ces individus. "En me prêtant leurs bandes sonores et en me racontant leurs histoires, les gens ont posé un geste de confiance qui est comme la nature même de la communauté, c’est-à-dire partager des valeurs."
Et pour Egoyan, qu’éveille donc comme souvenirs ce type de magnétophones? Tout a commencé par un enregistrement réalisé en 1967. "Quand j’étais enfant, je venais souvent l’été à Montréal voir ma famille et mes cousins. Quand j’avais sept ans, mon oncle a réalisé un enregistrement de ma voix en train de chanter un air provenant de La Mélodie du bonheur." Le visiteur aura d’ailleurs le plaisir d’entendre ce moment fondateur pour l’artiste, en entrant dans la salle d’exposition, à gauche, en allant voir le magnéto prêté par Jirair Devletian, oncle d’Atom Egoyan. "Cet événement est peut-être le point de départ de ce que je fais dans ma création" , ajoute l’artiste.
Croit-il à la psychanalyse? "Bien sûr, tout mon travail porte sur des non-dits, sur des refoulements mis au jour…" Et de ce point de vue, cette oeuvre est une réussite absolue qui laissera sa marque dans l’esprit du spectateur bien longtemps après sa visite.
Le seul reproche que je ferais à cette installation est son aspect un peu trop clinique. Il y a dans tout cela une certaine froideur qui tient à son dispositif muséologique (par exemple, les vitrines de plexiglas présentant divers artefacts). Egoyan, qui n’est pas un nouveau venu dans le domaine des arts visuels – il a signé plusieurs installations vidéographiques -, m’avait plus surpris formellement à Venise, en 2001, avec sa pièce réalisée en collaboration avec Juliao Sarmento. La projection vidéo Close était un dispositif traitant de la pulsion du voir et portant sur les interdits sexuels. Le spectateur, qui devait se coller le nez à l’image, était confronté plus physiquement à l’oeuvre.
Egoyan s’inscrit néanmoins brillamment dans une voie artistique qui, en Occident, a eu beaucoup de résonance tout au long de son histoire avec un regain depuis les surréalistes. En 99, une exposition qui s’est tenue au Musée Picasso à Antibes retraçait les ramifications de cette idée de l’art comme thérapie. Intitulée L’Art médecin, elle discutait autant du travail de Damien Hirst que du désir de Matisse de créer un art "calmant et cérébral" ou de cette "cure par la couleur" de Fernand Léger. Cette forme d’art contemporain est héritière des images miraculeuses, telle la Tentation de Saint-Antoine de Bosch, réputée pour guérir par le regard diverses maladies de la peau!
Jusqu’au 20 octobre
Au Musée d’art contemporain
À signaler
Caroline Boileau croit elle aussi en la fonction thérapeutique de l’art. Il y a deux ans, lors de l’exposition L’Algèbre d’Ariane, elle tentait d’aider ses spectateurs à se purger de leurs maux physiques et mentaux en réalisant avec eux une sorte de poupée guérisseuse et presque vaudou… Cet été, pour l’expo Mémoire vive, elle a interrogé la ville comme corps souffrant. Elle a demandé à des passants de lui confier des histoires personnelles ayant marqué leur corps ou celui de leurs proches et étant survenues dans des endroits précis de la ville. Des symptômes répétitifs surgiront-ils de ces témoignages? C’est ce dont vous pourrez juger le dimanche 15 septembre à 17h30 au Centre d’histoire de Montréal, puisque Boileau racontera alors les histoires qui lui ont été confiées. De mystérieux "remèdes maison" seront servis et permettront peut-être de compléter cette guérison du corps social.
Toujours dans le cadre de Mémoire vive et toujours au Centre d’histoire, signalons que le jeudi 12 septembre à 19h30, la conférence (en anglais) de l’historienne Veronica Johnson portera sur l’histoire des Noirs au Québec. Information: 878-1088 ou le site www.cam.org/~daredar.