Chasse-galeries : Papier glacé
Arts visuels

Chasse-galeries : Papier glacé

Une tournée des expos de trois galeries, et un coup d’oil sur la cinquième édition de la Manifestation internationale vidéo et art électronique organisée par Champ Libre

Allons-y sans détour: dans les galeries, la rentrée automne 2002 est assez faible. Ce n’est pas que les artistes présentés ne sont pas assez professionnels ou que leur production est bâclée. Non, ce n’est pas la raison. C’est justement que leur création est souvent trop maîtrisée et soignée comme une image de mode ou comme autrefois la peinture académique.

À force de vouloir faire sérieusement de l’art, certains ne font qu’un travail ennuyeux. Je souhaiterais moins de contrôle et plus d’originalité. Chez Dazibao – qui depuis plusieurs années est en perte de vitesse, et ce, malgré une ou deux expos de qualité dont celle de Raymonde April et celle à laquelle participait Vik Muniz – la qualité visuelle est certes là. Vous y verrez de très belles photos impeccablement fabriquées, tirées et encadrées. Malheureusement, elles ne disent pas grand-chose de nouveau. Toni Hafkenscheid expose des clichés dignes des revues des années 50 montrant de petites maisons de banlieue ou des paysages avec des trains qui pourraient servir de pubs pour Via Rail (qui a d’ailleurs contribué généreusement à cette expo!). Grâce à une technique de flou très contrôlée, ces différents mondes réels prennent les allures de maquettes d’architecte, de modèles réduits pour petits garçons ou de maisons de poupées pour petites filles. On y lit une critique du monde idéalisé et standardisé. Mais ce type de critique n’a-t-il pas été fait cent fois?

Plus curieuse est l’intervention chez Clark du jeune artiste autodidacte Patrick Bernatchez qui en est à sa toute première expo à Montréal. Je salue le haut niveau de son travail. Cet artiste a du potentiel et il faudra le surveiller attentivement. Bernatchez produit un art héritier de l’art abstrait, de l’art minimal et de l’installation qui a un riche potentiel. Mais l’impeccable dispositif visuel de son installation ne doit pas nous empêcher de voir les faiblesses de son contenu. Dans ses images de scènes érotiques, les corps semblent se cannibaliser. Cette expo est sous le signe de la rencontre entre l’amour et la nourriture. À ce propos, cette photo de fleur – une rose? – composée de morceaux de viande est particulièrement réussie, même si elle fait penser à Wim Delvoye. Mais je dois dire mon impatience devant les éléments kitsch de son installation. L’artiste flirte avec l’insupportable et vide esthétique de John Currin et de Lisa Yuskavage qui parlent de la sexualité avec peu de profondeur. Le kitsch est maintenant devenu un genre convenu et presque académique, un clin d’oeil racoleur au spectateur. Bernatchez risque de se faire bouffer par ce type d’art. Son diptyque montrant une tache blanche (du sperme?) et un paysage me semble plus complexe et résister davantage à une lecture littérale. Je vous propose donc d’aller vous distraire plus intelligemment avec les photos de Jean-Jacques Ringuette chez Occurrence. Certes, le sujet peut paraître un peu léger au premier regard. On y voit un ourson en pluche dans diverses poses, comme si un petit garçon avait décidé de recréer le monde avec son nounours. Ses images sont très propres, sans trop de flafla mais elles possèdent un je-ne-sais-quoi de drôlerie et de regard critique quant à la question de l’identité qui les rend marquantes pour le spectateur. Des titres comme De la catastrophe de jouir en cachette ajoute à l’ensemble un sens parfois très profond.

Finalement, à l’Espace VOX, la commissaire Marnie Fleming propose une expo du Vancouvérois Roy Arden. Ce dernier présente ses plus récentes photos à la croisée de Jeff Wall et d’Andreas Gursky. Un regard social et politique sur le monde. On s’en reparle la semaine prochaine.

Jusqu’au 5 octobre
Galerie Dazibao

Jusqu’au 27 octobre
Espace VOX

Jusqu’au 12 octobre
Galerie Clark

Jusqu’au 12 octobre
Galerie Occurrence

La Cité des ondes
Ça va vibrer! Jusqu’au 23 septembre a lieu la cinquième édition de la Manifestation internationale vidéo et art électronique organisée par Champ Libre – organisme dirigé par François Cormier, qui depuis 10 ans d’existence poursuit une essentielle réflexion sur "l’architecture, l’espace public et les arts technologiques de manière à provoquer une rencontre entre l’art et le citoyen".

Cette année, l’événement s’intitule La Cité des ondes. À quelques pas de Radio-Canada et de TVA, Champ Libre a trouvé son lieu de résonance en investissant l’ancienne station de pompage Craig, au pied du pont Jacques-Cartier. Performances, vidéos, art sonore avec musique expérimentale, conférences et tables rondes sont au rendez-vous.

Que voir dans cette programmation très fournie? Plusieurs séances vidéo sont à surveiller: ce jeudi à 22 h 30, on pourra voir, entre autres, Session video de Pascal Grandmaison et Patrick Pellerin; dimanche à 21 h, on ira scruter les bandes de Jowita Kepa, Chloé Leriche, Pascal Lièvre, Frédéric Moffet, Monica Panzarino, et à 22 h 30, celles de Pavel Pavlov, Anick Saint-Louis, Manuel Saiz Yudi Sewraj, Julio Sotto, Vincent Epplay et Cécile Babiole. Côté installation, signalons celle de l’Américain Scott Arford qui a déjà fait ses preuves à l’Institut of Contemporary Art à Londres ainsi qu’au Whitney à New York. Samedi, entre 13 et 17 h, vous pourrez vous laissez baigner dans un univers où se rencontrent le son et la lumière, composant ainsi des abstractions colorées. Le tout créera "un environnement synesthésique", ce qui – si je me fie à la définition du dictionnaire Le Robert – devrait vous donner un trouble sensoriel en provoquant une sensation supplémentaire dans une partie de votre corps non prévue à cet effet! Côté musique expérimentale, l’espace sonique de l’Américain Michael Northam sera à expérimenter ce soir à 19 h 30, tout comme celui de Daniel Menche samedi, à 19 h 30.

Et puis, il ne faudra pas rater aujourd’hui jeudi, à 13 h, la conférence de Maria Rus Bojan sur l’autocensure dans le domaine des nouveaux médias. Renseignements: www.champlibre.com.

Jusqu’au 23 septembre
Station de pompage Craig

2000, rue Saint-Antoine Est, angle De Lorimier