Richelieu, l’art et le pouvoir : Mariage de raison
L’exposition Richelieu, l’art et le pouvoir, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), nous fait réfléchir sur la question du rapport entre la politique et les artistes. Regard aussi sur les photos du Vancouvérois ROY ARDEN chez Vox.
L’art et le politique peuvent-ils faire bon ménage? Le pouvoir ne risque-t-il pas d’utiliser les arts à des fins de propagande ou de ramener les créateurs au simple rôle de glorificateurs-publicistes des riches commanditaires et des valeurs nationales? Difficile de répondre. D’autant plus qu’on peut se demander s’il existe des cultures bâties sans le soutien du pouvoir et des classes dirigeantes.
Par exemple, l’art grec classique aurait-il existé sans la volonté de Périclès et sa décision de détourner l’argent des fonds de guerre du trésor de Délos pour les grands chantiers de travaux publics à Athènes, ce qui a permis entre autres la construction du célèbre Parthénon? Difficile à savoir…
L’exposition Richelieu, l’art et le pouvoir, qui vient d’ouvrir au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), nous fait réfléchir sur cette question. Elle retrace l’impact du ministre du roi Louis XIII sur l’art de son époque et nous amène à comprendre une chose bien embêtante: très rares sont les grandes époques artistiques s’étant constituées sans l’appui des puissants. Voilà de quoi attaquer de front la notion d’autonomie créatrice tant souhaitée par les artistes modernes.
L’art est lié au pouvoir et son histoire est celle des pays riches. Mais est-ce une bonne chose ou une inévitable contrainte que les grands artistes dépassent tandis que les médiocres s’y enlisent?
Dans cette expo au MBAM s’énonce une nouvelle vision de la première partie du 17e siècle français et de l’art de Nicolas Poussin, Charles Le Brun, Simon Vouet, Claude Lorrain… Elle s’oppose à celle de plusieurs historiens. Richelieu, ministre entre 1624 et 1642, aurait exercé une influence majeure dans la création d’un grand art national. De plus, grâce à lui se seraient mis en place les fondements d’une politique culturelle française centralisée. Cette thèse s’oppose à celle d’Arnold Hauser pour qui il n’existait pas avant 1661 de véritable politique artistique globale en France. De plus, pour Hauser, les grands peintres français, en particulier Poussin, ne seraient pas le produit d’un désir de la cour ou de la royauté mais plutôt des bourgeois, des financiers et des grands marchands constituant un nouveau pouvoir.
À cet égard, les propos de Marc Fumaroli (professeur au Collège de France) dans le catalogue de l’expo semblent plus nuancés. Il rappelle comment l’art servit alors à Richelieu pour sa propre gloire et celle du royaume.
Voici une expo qui doit porter à réfléchir. L’art et le pouvoir ne font-ils pas souvent un mariage de raison qui sert aux deux camps? Chaque nation n’a-t-elle pas besoin d’un art fort pour se donner une identité propre? Au Québec et au Canada, où les politiciens ne semblent guère intéressés par le domaine des arts et des artistes (à l’exception de leurs enterrements médiatisés), on ne voit guère nos premiers ministres ou ministres présents dans les vernissages ou premières de théâtre – on peut se demander si cette leçon ne devrait pas leur être profitable…
Certes, le côté très historique de l’ensemble pourra rebuter certains publics. Néanmoins, certains tableaux justifient à eux seuls la visite. Poussin est présent au MBA avec des pièces majeures: Triomphe de Pan (en provenance de la National Gallery à Londres), Triomphe de Bacchus, Triomphe de Neptune et d’Amphitrite, Destruction du temple de Jérusalem… Grandiose! Tout comme les deux tableaux de Georges de La Tour, peintre bien connu du public pour ses fameuses toiles intimistes aux éclairages nocturnes avec des bougies, qui ont été souvent reproduites sur des posters ou même sur des cartes de Noël. Au MBA, ce sont des scènes diurnes moins spectaculaires qui sont présentes. Mais ce Saint Jérôme pénitent – que Richelieu avait certainement dans sa chambre dans ses dernières années de vie – est une pièce maîtresse de cette expo.
Jusqu’au 5 janvier
Au Musée des beaux-arts
Exhiber la mécanique du monde
Au premier regard, les photos du Vancouvérois Roy Arden, en particulier ses plus récentes, font penser à celles de beaucoup d’autres. La Maison bourgeoise – Monster House -, captée d’une manière froide d’un point de vue éloigné, fait penser à la fois à Jeff Wall et à Andreas Gursky. Du premier, il a la capacité de donner un supplément poétique à une image presque clinique; du second, il semble avoir quelques-uns des défauts dont l’aspect "papier glacé" et "image de mode" dont je vous parlais la semaine dernière. Pourtant, à y regarder de plus près, les images de Roy Arden échappent au type d’esthétisme développé par Gursky et repris à satiété par de nombreux photographes à tel point que souvent on a du mal à savoir qui a fait quoi. Par exemple, Thomas Struth, Thomas Ruff et Candida Höfer perdent de plus en plus leur individualité artistique et poursuivent une esthétique qui n’en finit plus de s’épuiser. Et les suiveurs sont multitude…
Heureusement, les images d’Arden sont plus en lien avec le travail de l’Anglais Richard Billingham qui, s’il fait parfois des images un peu trop chocs (entre autres de son père alcoolique), ose néanmoins montrer un monde moins léché et propret que Gursky et compagnie. Billingham et Arden exhibent bien mieux la condition humaine et échappent à une esthétisation un peu vide qui semble dominer la photographie actuelle.
Photos montrant des abris de fortune pour itinérants ou des bâtiments en décrépitude et reprises d’images de journaux exposant la brutalité policière (lors des répressions violentes de manifestations ouvrières en 1938 à Vancouver) constituent l’univers d’Arden. Certes, je pourrais reprocher à ses clichés leur propreté. Étrangement, cette tension entre un contenu très chargé émotionnellement et une présentation très léchée et presque distante crée un effet très significatif. Par exemple, la froideur du dispositif souligne encore davantage la violence aveugle et indifférente des forces policières vis-à-vis des manifestants, ou du monde en général devant la pauvreté.
J’ai particulièrement aimé les images constituant la série Basement. Elles montrent des objets hétéroclites conservés dans un sous-sol, lieu de travail du concierge mais aussi espace de rangement pour les locataires d’un immeuble. Un véritable "musée de rebuts", de dire Arden. Ainsi, il montre la face cachée du monde. L’histoire des petites gens et des petits riens qui constituent le refoulé de nos sociétés. Gursky montre la vitrine du monde capitaliste (comme avec sa photo des étalages de chaussures Prada). Arden montre l’arrière-boutique de ce monde clinquant. Tout comme la vidéo montrant en gros plan un moteur de voiture en train de tourner, cette série nous dit métaphoriquement comment, au-delà du monde apparent, il y a des rouages fonctionnels qui sont essentiels à connaître.
Jusqu’au 27 octobre
À l’Espace VOX