La Biennale d'art contemporain : L'art contemporain à la trace
Arts visuels

La Biennale d’art contemporain : L’art contemporain à la trace

La troisième édition de la Biennale de Montréal, dont le thème officiel est Plaisirs, passions, émotions, a pris le parti de mettre à l’enseigne l’art du dessin. C’est l’intelligent pari qu’a pris Claude Gosselin en soulignant la modernité de ce médium.

Alors que depuis quelques années la majorité des biennales et événements internationaux (Venise, Cassel, la Whitney à New York…) sont submergés de vidéos qui prennent en otage le visiteur pendant de très longues heures et rendent les visites interminables, la troisième édition de la Biennale de Montréal a pris le parti de mettre à l’enseigne l’art du dessin. Tous s’en réjouiront. On se demande bien pourquoi l’impératif de modernité ne pourrait pas se développer autrement que par l’utilisation de la caméra vidéo et du projecteur grand écran! C’est l’intelligent pari que prend Claude Gosselin en donnant une place prépondérante au dessin dans sa Biennale. Au-delà du thème officiel de Plaisirs, passions, émotions, c’est la modernité de ce médium qui est en effet le point central et le plus intéressant de cette présentation. Alors que bien souvent les thèmes des biennales sont bidon, celui-ci pointe justement une tendance marquante en art contemporain depuis au moins la dernière décennie. Voilà de quoi nous réconcilier avec ce genre d’événement qui devrait toujours être une occasion de proposer une thèse sur l’art actuel.

La Biennale: un thème
Le dessin a des vertus. Et pas celles répétées par plusieurs critiques et par bien des bouches lors du vernissage. Non, le dessin n’est pas plus lié directement à l’âme de l’artiste – comme un sismographe des passions! – que ne le seraient la peinture ou la photo… Voilà bien un cliché éculé datant du 19e siècle et qui a succédé à celui qui voulait que le dessin soit de l’ordre de la raison s’opposant à la tâche colorée, plus proche des émotions. La nervosité de la ligne n’est pas plus une garantie d’intensité créatrice que la solidité du trait, le signe d’une idée précise. Si le dessin a une valeur si attachante, c’est qu’il crée un effet d’intimité et non qu’il est par essence plus proche de l’être du créateur. Le dessin semble toujours lié à un projet en gestation. C’est le cas du dessin d’architecte ou du peintre pour un tableau. Une forme d’art qui a l’air moins officielle.

Le milieu de l’art et les artistes seraient-ils en train de se lasser de l’aspect tonitruant que l’art a souvent pris dans les années 80 et 90? Le retour très marqué du dessin depuis quelques années ramène l’expérience esthétique à un niveau plus privé. L’impératif de faire l’histoire et de se frotter aux grands arts (peinture, sculpture installative) semblerait moins important. Beaucoup ont fait du dessin leur pratique ou une part essentielle de leur démarche: Raymond Pettibon, William Kentridge, Laylah Ali, Karen Kilimnik, Adrian Piper ou Kiki Smith dont on a pu voir les dessins chez René Blouin en début d’année – dessins repris ici et qui, même s’ils sont mal installés dans un couloir, sont exceptionnels.

…des artistes
Disons-le: malgré la pertinence de la thèse soutenue, c’est une année plutôt moyenne pour la Biennale. Ce très important événement montréalais est certes très bien orchestré. Il n’est pas une simple reprise de grands artistes déjà reconnus à New York ou à Londres. Gosselin a pris le risque d’inclure des artistes moins renommés du Mexique et d’ailleurs. Malheureusement, rares sont les pièces vraiment marquantes. La magie n’est pas souvent au rendez-vous malgré le professionnalisme de l’ensemble.

Au-delà de ce constat général, je reprocherais aux organisateurs une chose en particulier: la façon dont est rendu l’hommage à Betty Goodwyn. Quelle présentation peu éclatante! Pourquoi caser une si grande artiste dans cette petite salle avec une dizaine de petites pièces?

La Biennale aurait dû utiliser la grande salle de la Fonderie Darling et la remplir du sol au plafond d’une multitude d’oeuvres en forme d’apothéose pour cette grande dame qui va fêter ses 80 ans l’an prochain! À défaut de cela, j’aurais utilisé la petite salle mais avec une ou deux exceptionnelles pièces devant lesquelles on aurait pu s’asseoir et méditer… Cette disposition est d’autant plus intrigante que la magnifique pièce d’Alain Paiement est écrasée par l’immense salle dans laquelle elle se trouve, salle mitoyenne avec le grand placard octroyé à Goodwyn…

Paiement signe en effet une pièce (c’est le cas de le dire) extraordinaire puisqu’il nous montre l’intérieur d’une salle vue de tous les côtés. Il continue avec brio ses recherches sur la représentation de l’espace et c’est avec impatience que j’attends son solo à la Galerie de l’UQÀM dès le 18 octobre.

Côté réussites, il faut aussi parler de l’incontournable Ontarien Ed Pien qui, ces jours-ci, a trois expos à Montréal! Déjà invité à la Biennale 2000, il revient cette fois-ci avec une installation plus aboutie intitulée Earthly Delight. Le tout a des airs de paradis terrestre avec ses voix rieuses de gamins. Mais ces enfants avec des fleurs sortant de leur tête ou de leurs fesses ont quelque chose d’un peu démoniaque et parfois de trop sexuel, très proche du travail d’Henry Darger. Dans le même ordre d’idées, on ira aussi admirer les oeuvres du Manitobain Marcel Dzama qui lui aussi interroge l’univers de l’enfance comme lieu de l’inconscient.

Le Français Bruno Peinado exhibe quant à lui une pièce très politique qui pourra sembler un peu vide mais qui est très efficace au second regard. Des pancartes avec des slogans écrits à l’envers nous disent la difficulté de continuer la lutte. Des phrases comme Marx attacks (parodiant le film Mars Attacks) ou Are we leaders ou loosers? donnent un ton très critique et très réussi à l’ensemble.

Les Suisses Claudia et Julia Müller se sont lancées dans une amusante et très réussie lecture de nos icônes québécoises. Céline Dion y est décrite comme capricieuse et José Théodore comme un gars rempli d’argent qui, malgré sa popularité, continue de jouer les gardiens de but…

Côté ratés, notons entre autres l’espace très mode tiré directement d’une revue de décoration de l’Allemand Anton Henning. Son environnement est très cool, très hot, très branché… Les superlatifs punchés me manquent! Il y a inclus des sièges de designers (Eileen Gray et Edra Cubista) qui rendent l’ensemble encore plus in. Un bon endroit pour se reposer avant de repartir voir de vraies oeuvres.

La pièce du Français Fabien Verschaere n’est pas non plus très aboutie. On y montre un carnaval de luxure en opposition avec des étoiles rouges surmontées de cactus… Une opposition simpliste. Quant au travail de John Scott – une série de dessins bâclés -, il tient de l’exercice de cégépien.

…et des rencontres
Signalons qu’une série de forums de discussion autour de la notion de dessin auront lieu du 4 au 6 octobre entre 14 h et 18 h à la Fonderie Darling. Vendredi s’y trouveront Claude Gosselin, René Block (directeur du Kunsthalle Fredericianum de Cassel) et Dan Cameron (du New Museum of Contemporary Art de New York). Samedi aura lieu une session présidée par Mary Doyle (de la Contemporary Arts Society de Londres). Et finalement dimanche, une discussion sur le stoïcisme et l’hédonisme (sous-thèmes de la Biennale) dans l’art contemporain aura lieu entre le philosophe Michel Onfray et l’archéologue Anne Zagdoun. Renseignements: (514) 288-5021.

Jusqu’au 3 novembre
À la Fonderie Darling et ses alentours, ainsi qu’à l’Espace Mexico