Elvira Santamaria : Cheveux d’anges
Pendant que le Musée du Québec consacre une grande rétrospective à Suzor-Coté, que la Maison Hamel-Bruneau souligne les 25 ans du prix Paul-Émile-Borduas, l’artiste mexicaine ELVIRA SANTAMARIA tente de retracer la mémoire de nos artistes disparus.
"Vous êtes artiste, mais où sont les tableaux?" s’exclament certains visiteurs. "Mais, il n’y a rien à voir ici!" s’étonnent les autres. "Cherchez un peu, et vous verrez…" répond patiemment Elvira Santamaria. L’installation à laquelle travaille l’artiste mexicaine en résidence à la Chambre blanche depuis quelques semaines stimule la perception. Accrochés aux murs et suspendus au plafond, des constellations de longs cheveux noirs entrelacés forment des dessins dans l’espace. Autant d’interventions minimales semblables à de petits autels, à des mémoriaux éphémères: de Riopelle à Émile Nelligan en passant par les artistes inconnus, l’artiste mexicaine s’imprègne de l’histoire. Ici, des cheveux enroulés forment un minuscule cerceau dédié à Pauline Julien. Là, une commémoration à Borduas où une pomme gisant au sol évoque sa région natale. Çà et là, des petites choses éparses. Deux ou trois cheveux suspendus à un fragile fil rouge; des petites pierres déposées au sol. Étrange exercice dont le résultat s’avère, finalement, des plus troublants.
Depuis plusieurs semaines, Elvira Santamaria collecte ses cheveux. Ceux qui tombent chaque jour, elle les collige afin de les utiliser comme matériau pour son installation. Pendant ce temps, elle recueille de l’information sur les artistes québécois disparus, peintres, poètes, chanteurs, intellectuels, accumulant anecdotes et commentaires d’amies, de gens rencontrés au hasard et du public. "Je veux me débarrasser de toutes les idées que je pourrais avoir et rester seulement proche de ce que le moment présent me donne." À chaque personne lui ayant transmis de l’information, elle a proposé, en guise d’échange, une petite performance qu’on peut d’ailleurs visionner sur vidéo dans l’espace d’exposition. "Cet échange donne de la valeur et de l’intensité au travail", ajoute-t-elle. Lorsqu’elle s’adonne à la performance, Elvira Santamaria risque presque sa vie. Dans cette production de laboratoire, elle interroge celles déjà éteintes. "C’est un processus très lié au temps. C’est aussi travailler avec les ressources les plus proches de moi-même", explique-t-elle. Un travail qui permet de valoriser les détails, le potentiel des petites choses et ainsi faire revivre à infimes doses la mémoire des artistes.
Jusqu’au 3 novembre
À la Chambre blanche
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Bloc-notes
Les monuments s’épousent la nuit
C’est le titre d’un dessin de Roland Giguère (né en 1929), lauréat du prix Borduas de 1982. Un dessin qu’on peut voir actuellement à la Maison Hamel-Bruneau, où se déroule Contrepoints, exposition soulignant le 25e anniversaire du prix Paul-Émile-Borduas. Le commissaire invité, Gilles Daigneault, a réuni des dessins, médium partagé par tous les récipiendaires, qu’ils soient architectes, sculpteurs, peintres, designers. Le résultat est des plus instructifs et vient consigner dans notre mémoire (et notre bibliothèque) les noms et les oeuvres de tous ces artistes dont le gouvernement du Québec souligne la carrière depuis 1977, médailles à l’appui. Quelques coups de coeur? Un étonnant dessin d’Armand Vaillancourt (lauréat 1993), celui de Giguère et un autoportrait saisissant d’Alfred Pellan (lauréat 1984).
Un catalogue, publié par la fondation J. Armand Bombardier (dont le Centre culturel de Valcourt accueillera à son tour l’exposition) et les Éditions 400 coups, accompagne l’exposition. On y lit les textes, traduits en anglais et en espagnol, de Gilles Daigneault commentant l’oeuvre de chaque artiste ainsi qu’un papier de Lise Lamarche – toujours aussi sarcastique! -, qui nous introduit aux mécaniques de la reconnaissance avec en annexe la liste des membres des jurys successifs… L’historienne de l’art, ne se gêne pas pour noter au passage: "[…] si le monde de l’art tel que saisi par le Prix est largement peuplé d’hommes artistes, il est blanc "mur à mur" et bien davantage francophone qu’anglophone ou allophone." Bien plus qu’un ouvrage polémique, il en est un de référence qu’on se réjouit d’avoir en main. Notez que Gilles Daigneault prononcera une conférence, le mercredi 30 octobre à 20 h à la Maison Hamel-Bruneau. Contrepoints se poursuit jusqu’au 5 janvier 2003.
Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté
Le Musée du Québec rend hommage à un des grands paysagistes d’ici. Suzor-Coté, peintre natif d’Arthabaska, s’est créé ce nom tout désigné notamment en supprimant l’accent circonflexe de "Côté" pour une prononciation plus… parisienne. Petite anecdote relevée par Laurier Lacroix, volubile et passionnant historien de l’art et de muséologie de l’UQAM, commissaire de cette importante exposition: "On se souvient du nom, mais on a oublié l’oeuvre." Le musée y remédie. Nous en reparlerons plus longuement très bientôt. Suzor-Coté, 1869-1937, Lumière et matière, jusqu’au 5 janvier 2003.