Alain Paiement : Ça plane pour moi
Arts visuels

Alain Paiement : Ça plane pour moi

Avec ses plus récentes images proposées par la commissaire Anne-Marie Ninacs à la Galerie de l’UQAM, Alain Paiement confirme qu’il maîtrise totalement l’art photographique.

Le photographe Alain Paiement souhaiterait-il avoir l’oeil de Dieu? Plus humblement, ses images offrent une vision du monde prise du ciel, créée par un oeil rayon-X digne de celui des super-héros des bandes dessinées. Dans ses plus récentes images proposées par la commissaire Anne-Marie Ninacs à la Galerie de l’UQAM, Paiement et son oeil semblent dominer totalement la situation ainsi que l’art photographique.

La plus spectaculaire de ses photos – réalisées avec une caméra grand angle placée en parallèle avec le sol – est intitulée Parages. Elle donne à voir, grâce à un collage d’images, toute l’étendue de l’appartement que l’artiste habite au premier étage d’une bâtisse sur le boulevard Saint-Laurent ainsi que l’espace de la pâtisserie qui prend place au rez-de-chaussée. C’est comme un plan architectural, mais photographique, avec tous les détails des activités humaines qui occupent ces espaces (prendre un bain, discuter, préparer de la nourriture…).

Voilà un projet qui tient du défi technique. Belle maîtrise. Mais cette oeuvre transcende-t-elle la prouesse de méthode qu’elle donne à voir? Heureusement, oui. Et cela en s’inscrivant dans une tradition moderne qui est encore pertinente. De quoi s’agit-il donc?

Un des grands changements survenus dans l’art moderne fut de changer le point de vue par lequel le spectateur voit le monde. Soudainement, aux 19e et 20e siècles, la peinture n’a plus nécessairement placé le spectateur en position dressée, au garde-à-vous, se tenant droit comme un piquet devant le monde. C’était le corps du militaire ou du conscrit et même pendant longtemps celui de l’élève en classe… L’art a alors proposé des positions du corps plus libres, plus souples, moins dictées par la pression sociale. Le sujet moderne s’est vu entre autres propulsé dans des états d’apesanteur que les montgolfières, avions, spoutniks et autres engins spatiaux pourraient expliquer. Mais le sens de cette ascension serait plus à approfondir dans la psychanalyse, la sociologie ou l’anthropologie. Pour reprendre une expression qui fut très populaire à une époque – et reprise dans une mauvaise chanson de Plastic Bertrand -, disons que l’art moderne, "ça plane". Et il faut entendre dans ce mot tous les liens avec le plaisir sexuel, l’usage des drogues, mais aussi avec la capacité de dominer une situation complexe.

Il y a maintenant plus de 10 ans, l’historien d’art américain Kirk Varnedoe a montré l’importance de ce phénomène visuel de changement de point de vue et comment un nombre incalculable d’artistes se sont penchés – c’est le cas de le dire – sur une représentation bouleversée du monde: Pissaro et Caillebotte avec leur vision de la ville de Paris du haut des nouvelles maisons hausmanniennes, et puis par la suite un nombre inimaginable de photographes comme Rodchenko ou Moholy-Nagy. Même la manière de peindre a changé. Pollock s’est mis à laisser tomber sa peinture sur la toile posée sur le sol. À ces exemples, on pourrait rajouter Les Demoiselles d’Avignon de Picasso qui semblent être vues par un spectateur-client couché sur elles. L’urinoir de Duchamp serait aussi à inclure dans cela, lui qui est installé sur un piédestal mais comme observé de haut.

Paiement s’inscrit dans cette attitude-là, dans cette vision du monde plus détachée mais en même temps plus sentie, plus proche d’une prise de possession des sentiments corporels présents dans les activités au quotidien.

L’oeil de Paiement, malgré son omniscience, donne l’impression d’être au monde, simplement. Le spectateur se voit alors obligé de réfléchir à sa manière de voir.

Jusqu’au 21 novembre
Galerie de l’UQAM

L’art comme interstice social
Voilà déjà cinq années que Pierre Granche est mort. Cet artiste fut l’initiateur mais aussi l’un des piliers du Département des arts à l’Université de Montréal qui a tristement fermé ses portes cette année. Il fut aussi l’un de nos créateurs les plus prolifiques en art public. À Montréal, son art se retrouve partout: sur le site devant le Pavillon des sports de l’Université de Montréal (boulevard Édouard-Montpetit), au métro Namur, à la Bibliothèque nationale du Québec (rue Sherbrooke), dans la salle des pas perdus qui relie la Place des arts au Musée d’art contemporain, au Musée McCord, dans l’immeuble de l’Alcan… Plusieurs de ses pièces représentent des points de repère de notre tissu urbain, ce qui pour un artiste constitue une reconnaissance importante. Pour Granche, cela montre la réussite de son projet de travail in situ qui voulait créer des lieux d’expression ainsi que des lieux publics. Voilà pourquoi il faut aller voir l’expo qui retrace son parcours de 1973 à 1997. L’art y devient un interstice social, un intermédiaire entre nos êtres.

Jusqu’au 7 novembre
Centre d’exposition de l’Université de Montréal

Croquer la pomme du savoir
Je me dois de vous signaler une petite merveille présentée dans le cadre du Festival du nouveau cinéma: le site aisforapple.net qui est aussi un cédérom, A is for Apple. C’est l’artiste et cinéaste David Clark qui a réalisé cette curiosité pour une exposition en début d’année à la Galerie Dalhousie à Halifax. Il s’agit d’un essai interactif sur l’histoire culturelle de la pomme. Cela pourrait sembler bien scolaire mais c’est une suite continuelle de réflexions surprenantes qui a un côté très Roland Barthes. Cela va bien sûr de la pomme qui serait tombée d’un arbre devant Newton au fruit défendu du paradis terrestre, en passant par les célèbres compagnies Apple, celle des disques fondée par les Beatles et celle des ordinateurs établie par Steeve Job. On trouvera chaque fois une foule d’anecdotes, tels les faits que le nom d’un des membres des Beatles signifie pomme en japonais (Ringo) et que le mathématicien Alain Turing est mort après avoir mangé une pomme empoisonnée quelques années après avoir vu le film Blanche-Neige… Chaque fois, cela débouche sur une réflexion portant sur la notion de sens. Le réseau de liens propre à la construction interactive par ordinateur semble ici prendre la même forme complexe et multirelationnelle que le système de connections par association de la pensée humaine!

Avec ce travail, on se rend compte comment un des avenirs majeurs du multimédia réside dans ce type d’essai où images et sons viennent appuyer juste au bon moment le propos énoncé. Un travail exemplaire.