César Saëz / Carl Trahan : Le rouge et le noir
Depuis plusieurs années, CÉSAR SAËZ poursuit un travail engagé en réalisant un genre d’interventions clandestines. De son côté, CARL TRAHAN expose à la Galerie Clark des photos de travailleurs de la construction pour questionner l’identité masculine.
Rappelez-vous. C’était le 11 août 1999. C’était la dernière éclipse solaire avant longtemps et Paco Rabanne, la "grande pute" de la mode – le designer affirme avoir été une prostituée dans une de ses vies précédentes -, avait prédit la destruction de la ville de Paris. La station orbitale Mir, soi-disant remplie de plutonium, devait s’écraser sur la Ville lumière. Est-ce parce que les Parisiens avaient tous le regard tourné vers le ciel que personne n’a remarqué que des artistes répandaient alors, dans les fontaines de la Pyramide du Louvre, 150 kilos de colorant rouge?
L’artiste québécois César Saëz avait choisi cette journée pour réaliser sa performance collective. Et les bassins du musée devinrent comme d’immenses flaques de sang. Le lendemain, Saëz allait lui-même porter à l’administration du musée un paquet donnant des instructions pour débarrasser le réseau d’eau du Louvre de cette teinture un peu voyante… Entre-temps, l’artiste avait documenté son intervention par une série de photos et un court vidéo qu’il nous présente, ces jours-ci, à la Galerie Lilian Rodriguez.
Simple plaisanterie d’un artiste en mal de reconnaissance?
Depuis plusieurs années, Saëz poursuit un travail engagé consistant en ce genre d’interventions clandestines. Plusieurs ont tenté de nous faire réfléchir sur les enjeux de pouvoir présents dans nos institutions culturelles. Rappelons qu’en 1993, il réussissait à bloquer l’entrée du Musée d’art contemporain (MAC) avec un important réseau d’élastiques. Il voulait dénoncer une certaine fermeture du MAC aux artistes d’ici, l’institution semblant alors exposer majoritairement des créateurs étrangers.
Puis vint la mise en place d’une centaine de panneaux "condos à vendre" sur les belles pelouses du Centre canadien d’architecture… Saëz souhaitait critiquer la spéculation immobilière que certains membres de la famille Bronfman effectuent au détriment des artistes et de leurs ateliers situés dans des immeubles convoités par le marché.
Les interventions de Saëz s’inscrivent dans une démarche réflexive menée par plusieurs artistes et intellectuels qui refusent de voir l’art simplement comme une affaire de goût personnel. Hans Haacke avec son oeuvre La liberté va désormais être sponsorisée, composée d’un logo de Mercedes trônant sur un morceau du mur de Berlin, critiquait l’implication de grosses compagnies dans le milieu de la culture. Le sociologue Pierre Bourdieu a, quant à lui, montré à plusieurs reprises les enjeux de pouvoir, d’argent et de classes sociales présents dans les institutions culturelles. Pour ne nommer qu’eux. Du coup, peut-on vraiment voir le Louvre comme un lieu de pure délectation? Des goûts et des couleurs, on ne discute pas?
Le Louvre devient depuis quelque temps un lieu de ralliement pour différentes causes. Cet été, des militants distribuaient à l’entrée de la célèbre pyramide des tracts condamnant la commandite d’expositions par des compagnies fabricantes d’armes tuant des populations et détruisant souvent le patrimoine mondial. L’an dernier, Greenpeace et la Coordination nationale contre l’enfouissement des déchets radioactifs s’étaient installés sur le parvis du musée pour dénoncer l’héritage de pollution que la société française va laisser aux générations futures.
Beaucoup dénoncent la participation toujours croissante des compagnies privées dans le musée. La restauration de la galerie d’Apollon a été en partie payée par TotalFinaElf dont le nom se retrouve publicisé et valorisé par le musée. Après le blanchiment d’argent, voici le blanchiment d’image pour compagnies polluantes aux mains sales?
Le Louvre en rouge, même si ce n’est pas la meilleure intervention de Saëz, pointe néanmoins vers un type de questionnement très pertinent.
Jusqu’au 23 novembre
À la Galerie Lilian Rodriguez
L’uniforme discret de la masculinité
L’identité masculine serait-elle naturelle? Longtemps les femmes furent perçues – entre autres par l’Église – comme l’expression de l’artifice culturel et de la tromperie par les apparences – maquillage, coiffure, vernis à ongles, faux cils… Un homme serait plus proche de la réalité naturelle de son corps? Les vrais gars, ce n’est pas à la mode? Pas si sûr.
À voir les photos de travailleurs que Carl Trahan expose à la Galerie Clark, le visiteur se demandera bien si les hommes, même ceux qui semblent bien loin des goûts de Gucci ou de Prada – Trahan a photographié des ouvriers et autres travailleurs de la construction -, ne sont pas eux aussi les otages, à leur corps défendant, des diktats de la mode. Torse nu, les jeans dévoilant le haut de leurs fesses, pas rasés, parfois tatoués, ces hommes ressemblent – avec parfois quelques livres en plus – très souvent à des pubs de Calvin Klein.
Effet pervers de la publicité qui a récupéré l’image des travailleurs et qui, du coup, donne l’impression que l’original est une copie? Trahan pointe comment tout l’art du look masculin, dans la réalité ou dans la pub, c’est justement d’essayer d’avoir l’air sans look.
Même si elle n’est pas nouvelle, cette réflexion de Trahan sur la masculinité est très bien menée.
Jusqu’au 30 novembre
À la Galerie Clark
à signaler
– L’édifice Belgo, vous connaissez? Construit en 1914, il abrite de nos jours parmi les plus importantes galeries à Montréal. Pour rendre ces lieux encore plus accessibles, il y aura nocturne au Belgo, au 372, rue Sainte-Catherine Ouest, le mercredi 13 novembre de 16 h à 20 h.
– La 12e édition de l’Événement inter-universitaire en création vidéo – EICV 2002 – aura lieu du vendredi 8 au dimanche 10 novembre. Les différentes productions seront présentées à la Société des arts technologiques (S.A.T.), 350, rue Sainte-Catherine Ouest. Entrée libre. Renseignements: www.unites.uqam.ca/eicv/.