Ivon Bellavance : L’homme araignée
Cocon, toile, fils tissés donnant naissance à des formes étonnantes: le travail d’IVON BELLAVANCE allie métier traditionnel et technologie, et nous amène au coeur de ses préoccupations. Humanistes.
Un grand cocon formé d’une toile confectionnée à plusieurs mains se déploie dans l’espace de la galerie Matéria. Cette sculpture blanche, argentée et transparente est le résultat d’une résidence collective à laquelle Ivon Bellavance a participé depuis les dernières semaines avec les étudiantes en textile de l’École des métiers d’art. "Une maille, précise Bellavance, ce n’est pas une maille, s’il n’y en a pas d’autres. Elles sont interdépendantes." En amont de cette pièce, un journal intime écrit collectivement où l’artiste et les étudiantes se sont tour à tour installés dans la vitrine de la galerie s’offrant aux regards des passants et s’inspirant de cette proximité avec la rue pour commenter la vie au jour le jour. Par l’intermédiaire d’un logiciel de tricot, chaque page écrite était ensuite transmise à une sorte d’imprimante textile, une machine à tricoter made in Japan. Dessins et textes parsèment maintenant la superbe toile, formant une structure à la fois mâle et femelle, qui se déploie parfaitement dans l’espace. L’objet, dans lequel on peut entrer comme dans une chambre, est fait de multiples mailles et s’inspire des toiles que confectionne l’araignée mygale, araignée qui capture ses proies dans un terrier. Quant au titre, Le Journal d’Arachné, il renvoie à une jeune fille de Lydie experte dans l’art du tissage… L’approche d’Ivon Bellavance, scénographe, formé à l’École des métiers d’art, étudiant en théologie, traverse plusieurs disciplines, mais conserve toujours le même fil conducteur, cet intérêt pour le tricot, la fibre, l’authenticité du procédé. "Pour moi, écrit Bellavance, le fil représente la genèse de toute chose, le fil de la vie, le fil du temps, la constance et la continuité. Il crée des liens entre les hommes et les femmes, les peuples et les cultures. Une fois tricoté, métissé, il se matérialise et me permet d’exprimer le sens propre du sujet. Sa sensualité et sa malléabilité en font une matière idéale."
Ivon Bellavance s’intéresse aux vides architecturaux, halls, agoras, qu’il enjambe et parcourt par l’entremise de ces toiles qu’il tisse dans l’espace. Ce travail doit son efficacité à cet alliage fécond entre le métier traditionnel – tel qu’on le pratiquait au Moyen Âge – et le recours à la technologie, donnant ainsi une production hybride qui ne se réduit pas à une démonstration technique ou de virtuosité. Si on remonte aux origines du langage binaire, on rencontrera en chemin le métier Jacquard (Joseph Marie 1752-1834), métier perfectionné encore utilisé aujourd’hui, qui permettait, comme nous le rappelle le dictionnaire, "à un seul ouvrier de faire un travail de reproduction de motifs très compliqués". Le logiciel et cette machine à tricoter ont permis, quant à eux, à Bellavance et son équipe de confectionner cette imposante forme transparente et étonnamment solide, en quelques semaines seulement. De toute l’installation, seule la bande sonore, qui reprend les textes inscrits dans le tricot, nous laissera à demi convaincue. La sculpture, quant à elle, demeure des plus pertinentes et s’avère peut-être une des plus audacieuses productions présentées à Matéria, renouvelant le regard posé sur la discipline: "C’est un geste de métier d’art, revendique Ivon Bellavance. Ce geste de répétition devient un rituel (…), le va-et-vient du chariot, c’est un rythme vital." Le temps inscrit dans les textes, conclura Bellavance, le temps passé à tricoter la grande toile, "c’est très humain et c’est ce qui rend les choses sacrées".
Jusqu’au 20 novembre
Au centre Matéria
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Bloc-notes
Esthésio. Art contemporain
Esthésio, c’est une nouvelle galerie inaugurée en septembre par Pascal Champoux et Maude Lévesque, respectivement directeur et galeriste, sise au 191, rue Saint-Paul. Non seulement l’espace est superbe (on vous laisse découvrir), mais les oeuvres qu’on y expose relèvent de choix esthétiques déjà définis et articulés et d’une audace certaine pour une galerie d’art privée qui assume sa vocation: présenter de l’art contemporain. Les oeuvres réunies dans l’exposition collective sont de Brigitte Radecki, de Claire Beaulieu et d’Andres Manniste. Rien de moins. En solo également, une série d’estampes numériques de Janick Laberge, regroupées sous le titre Organique/géométrique. Esthésio viendra alimenter et stimuler la vitalité de la vie artistique québécoise. On y retournera avec en poche notre définition du Dictionnaire historique de la langue française: esthésio – en grec s’il vous plaît, ça fait plus chic! -, c’est esthésie en français… mot emprunté à la physiologie qui signifie "l’aptitude à percevoir des sensations"; à ne pas confondre avec anesthésie…