Massimo Guerrera : Les nourritures terrestres
Arts visuels

Massimo Guerrera : Les nourritures terrestres

MASSIMO GUERRERA est un des artistes les plus originaux de sa génération. Darboral, c’est son atelier-laboratoire installé au Musée du Québec où le public est invité à participer à l’oeuvre. En parfaite coïncidence avec son  époque.

La maison comme métaphore du corps, la nourriture comme métaphore de tous les échanges: le travail installatif et performatif de Massimo Guerrera possède des qualités plastiques étonnantes où sculptures, restes de table et autres traces du passage de l’artiste et de ses rencontres font bon ménage. Des panneaux roses et bleus adossés au mur, Guerrera dira que ce sont "les panneaux d’isolation du corps-maison". Depuis une dizaine d’années, Guerrera poursuit une démarche unique, ses oeuvres nous parlent de l’ouverture et de la fermeture du corps personnel et social. Son installation est une des plus éloquentes que le Musée du Québec ait accueillies: le musée, "ce grand lieu qui fixe nos traces…" comme le dira Guerrera. Au sol, un patchwork de tapis collés de larges rubans rouges sur lesquels gisent éparpillées çà et là des sculptures de pâte d’amandes ou de céramique; des empreintes de parties du corps et autres objets hybrides. Dans un coin, les restes d’un repas; dans un autre, des coussins pour le confort de ceux qui prendront le temps de lire les textes de l’artiste, de regarder ses superbes dessins, ses photos. Avec les raisins de la veille, les salades et ces plats de noix, le travail de l’artiste montréalais, né à Rome en 1967, n’est pas sans rappeler les tableaux de Daniel Spoerri où ce dernier figeait sur la nappe les repas pris entre amis, transformant une table en tableau. Les sculptures de Guerrera, qu’on découvrira çà et là entre deux sacs de nourriture, rappellent autant l’esthétique de l’Arte povera, ce mouvement italien qui valorisait l’utilisation de matériaux pauvres. Son travail est aussi proche du fantasme d’unir l’art et la vie, voire d’en abolir les frontières…

Notre premier contact avec le travail de Massimo Guerrera, c’était en 1995, lors d’une manifestation contre le Sommet socio-économique… Sur le boulevard René-Lévesque à Montréal, Guerrera était venu manifester avec son étrange cantine munie de cuillères géantes et de drôles d’entonnoirs opacifiant, par le dispositif surréaliste, ce geste des plus banals consistant à se nourrir… Si la résonance politique de son travail nous semblait alors plus obscure, il prend aujourd’hui toute sa portée critique, ne serait-ce lorsqu’on pense aux organismes génétiquement modifiés, au développement de l’agriculture industrielle qui font plus que jamais du geste même de s’alimenter un enjeu économique et politique. Lorsqu’il investit le réel, c’est avec la compagnie fictive Polyco, dont il sera le directeur des relations publiques, jouant sur les limites entre fiction et réalité. Son travail s’inscrit ainsi dans l’esthétique relationnelle où l’artiste et le public ne sont plus divisés en émetteur et en récepteur, mais se donnent des rendez-vous dans des espaces conviviaux, pour paraphraser Nicolas Bourriaud. Mais encore, son travail relève aussi et surtout d’une attention et d’une concentration, que Massimo Guerrera qualifie de déterminantes dans son approche: une attention aux choses qui nous entourent comme aux gens et à ce que l’on mange… Pas très loin, à cet égard du moine tibétain qui, devant une assiette de riz et de lentilles, se répétera tout le long du repas: "Je suis en train de manger…" Le sous-titre de Darboral prend alors tout son sens: ici, maintenant, avec l’impermanence de nos restes…

Sur ce récent projet, comme à propos des cantines, on pourrait s’en tenir à l’esthétique relationnelle et aux qualités plastiques indéniables de ses installations, mais il y a aussi d’autres couches de sens. Anne-Marie Ninacs, commissaire de l’exposition et conservatrice de l’art actuel au Musée du Québec, explique dans la publication qui accompagne Darboral: "[…] ce que représente métaphoriquement la Cantine c’est précisément le phénomène de la digestion, haut lieu de transformation, processus sans réel début ni fin dont on préfère le plus souvent oublier qu’il existe, car la polarité désireuse qui lie bouche et anus est assurément l’une des plus dérangeantes pour notre société aseptisée." On ne niera pas l’ambiguïté de chaque objet; les références évocatrices au corps, la dualité entre la forme et l’informe, leur caractère sensuel aussi. D’ailleurs, le titre Darboral est une condensation d’art, d’arborescence et d’oralité… Oralité: 1- de la parole, du langage, du discours, 2- caractère propre au stade oral du développement de la libido, 3- tendance à porter à la bouche, à lécher, à manger toutes sortes d’objets. On traduit en allemand?

Les rendez-vous indéfinis
Les 29 et 30 novembre et 21 décembre

Conférence de l’artiste et de la commissaire
Le 27 novembre, à 19 h 30

Jusqu’au 12 janvier
Au Musée du Québec
Voir calendrier Arts visuels

Bloc-notes
Zones d’expériences
En plus de Darboral, le Musée du Québec inaugurait récemment trois autres expositions d’art contemporain. La première exposition d’art Web dans un musée québécois, Ellipse (www.mdq.org/ellipse), regroupe les oeuvres de sept artistes qui occupent parfaitement les cellules du Musée. À ne pas manquer, la conférence de la commissaire Valérie Lamontage en compagnie de quelques artistes, le samedi 23 novembre à 14 h. Voir aussi l’installation Cercle de sorcières, d’Annie Thibault, dans le hall du Musée et Enjeux de la représentation, regroupant une sélection d’oeuvres contemporaines de la collection du Musée. Nous en reparlerons plus longuement bientôt.

Un homme et sa maison
L’art et la vie étaient aussi intimement liés pour Arthur Villeneuve (1910-1990), peintre-barbier de Chicoutimi qui a peint les murs de sa maison de murales évoquant autant la fondation de sa ville, les paysages du Saguenay que la vie quotidienne de ses habitants. Publié par les Éditions JCL, le sympathique livre est écrit à quatre mains par Nathalie Boudreault et Micheline Marion, et donne envie de revisiter l’excentrique demeure installée depuis 1994 dans la Pulperie de Chicoutimi.

Livres d’artistes 02
Il faut voir l’exposition des livres réalisés pendant le Microprogramme en édition de livres d’artistes de l’Université Laval. On y allait avec un bon nombre de préjugés: trop précieux, les livres d’artistes… Plusieurs des livres de cette troisième mouture nous convaincront du contraire. Le programme d’explorations techniques en estampes comme en reliure est porté, depuis sa création par Nicole Malenfant, qui coordonne le tout avec une passion peu commune. On retiendra les livres de Helga Schlitter et son calendrier aztèque, celui de Maxime Doucet comme celui de Delphine Blauer. On pourrait tous les nommer. À la Galerie des arts visuels jusqu’au 24 novembre.