Zones, de Thomas Kneubühler : Sur les ailes d’un ange
Dans Zones, une expo présentée à la Galerie Observatoire 4, le photographe montréalais d’origine suisse Thomas Kneubühler nous donne une vision bien différente de l’univers aéronautique.
Et dire que pour plusieurs générations, l’avion a été l’emblème par excellence de l’homme moderne libre. Qui aurait pensé qu’un siècle après son premier envol, il serait devenu synonyme de confinement et d’air vicié! Dans les premières décennies de son histoire, bien des artistes se sont émerveillés devant l’aventure spatiale: les futuristes épris de vitesse lâchaient sur les villes leurs manifestes aérospatiaux; Braque décernait à Picasso le titre de pilote de l’art moderne, fonction que Modigliani octroyait quant à lui à son collectionneur Paul Guillaume; Robert Delaunay peignait son hommage à Blériot avec une tour Eiffel rayonnante, elle aussi défiant la gravité de ce monde… C’était l’époque où Proust offrit à son amant un aéroplane sur lequel il avait inscrit des vers de Mallarmé. L’avion faisait rêver!
Dans Zones, expo présentée à la Galerie Observatoire 4, le photographe montréalais d’origine suisse Thomas Kneubühler nous donne une vision bien différente de cet univers. L’expérience révolutionnaire pour les sens semble avoir cédé sa place à une structure plus terre-à-terre. Files d’attente interminables, nourriture sous plastique et sans goût mais qu’on avale avec impatience, passagers préférant ne rien voir et ne rien entendre, qui par peur ou par détachement se mettent dès leur entrée en cabine des écouteurs sur les oreilles ainsi qu’un bandeau sur les yeux: voilà maintenant une ambiance un peu plus pesante que Kneubühler décrit en détail. Tout cela avec un regard froid qui évoque une école allemande bien actuelle. Mais ici la froideur sert avec justesse le propos, pointant la mécanique peu onirique de l’industrie aérienne.
Une image plus particulièrement réussie montrant une de ces machines qui scannent le contenu de nos bagages à main est même inquiétante. Derrière elle se profile, un peu floue, une affiche sur laquelle on peut apercevoir l’image d’un homme avec des ailes blanches. Une publicité? Accrochée là par hasard? L’aéroport serait-il devenu l’antichambre d’un Ciel triste et morne? Sans tomber dans un discours post-11 septembre, Kneubühler montre une modernité peu triomphante et aseptisée.
Même si ses images font souvent penser à Wolgang Tillmans (en particulier celle du plateau-repas, très proche des natures mortes de ce dernier), cette installation photo de Kneubühler vise mieux son but que sa série de portraits d’individus absorbés par leur écran d’ordinateur que le public montréalais avait pu voir en début d’année lors de sa participation à l’expo Mode accéléré à l’Espace VOX. Même si ces photos avaient des qualités visuelles certaines, elles étaient desservies par le propos réducteur de l’expo et par une vision un peu simpliste des technologies. Ici, le concept est plus subtil.
L’artiste rencontrera le public à la galerie le samedi 30 novembre à 14 h.
Jusqu’au 16 décembre
À la Galerie Observatoire 4
Événement interuniversitaire de création vidéo
Que retenir de l’Événement interuniversitaire de création vidéo qui s’est achevé la semaine dernière? Cette manifestation, qui nous avait fait découvrir en 1998, le travail de Nicolas Renaud, mérite l’attention.
Je dois dire que malgré la pertinence de tous les prix remis, c’est sans le moindre doute l’installation de Patrick Bérubé de l’UQÀM qui était la plus remarquable. Son Cagibi était formé d’un placard dans lequel le spectateur entrait et se faisait narrer l’histoire d’un gars prisonnier de cet espace. Non, il ne s’agit pas d’une histoire gaie, même si, psychologiquement, il y a un peu d’anal là-dedans. Une projection vidéo en transparence au plafond donnait à voir ces objets inutiles que l’on n’ose pas jeter et évacuer. Cette installation doit absolument être remontrée ailleurs. Ce jeune artiste qui sort de l’université est bien prometteur. Bérubé a reçu, à juste titre, le prix de la meilleure installation vidéo.
Signalons aussi les autres récompenses: le prix féminin de la relève, pour les installations, a été attribué à Marie-Chantale Desrosiers; celui de la meilleure oeuvre vidéo, à Isabelle Côté et Marie-Anne Moreau; Nelly-Eve Rajotte a remporté le prix de la meilleure approche expérimentale; et Malene Charles, le prix féminin de la relève en vidéo. Un ex æquo: le prix du meilleur traitement de l’image est allé à Laura Dudek ainsi qu’à Simon-Pierre Gérard et Marie-Chantale Desrosiers. Le prix spécial du jury est revenu à Francis Théberge.
Soulignons plus particulièrement une dernière création: le prix du public a été attribué à Danse contemporaine, un faux documentaire amusant. S’y énonce une critique acide mais intelligente de l’art actuel. On y voit un groupe d’artistes défendant leur nouvelle approche de la danse totalement centrée sur le pouvoir expressif d’une partie essentielle du corps: le coude! Idée simple mais bien développée. À vous de décider si les artistes contemporains se serrent les coudes… ou jouent des coudes. Quoi qu’il en soit, la vidéo est une belle réussite de Thierry Marceau.
Prix Borduas
C’est Jocelyne Alloucherie qui a reçu le prix Borduas cette année. Après la remise de ce prix à Roland Poulin l’an dernier, on peut conclure que nos artistes post-minimalistes ont la cote. Alloucherie appartient à cette classe d’artistes qui ont poursuivi une réflexion formelle tout en ne laissant pas tomber les liens entre art et mémoire, entre art et inconscient. Cet honneur vient couronner une pratique qui, depuis plus de 30 ans, a su tisser des liens entre photo, sculpture et peinture tout en restant épurée.
Rappelons que ce prix est décerné depuis 1977 et qu’il est accompagné d’une bourse de 30 000 $.