Carmen Ruschiensky : Dévorer la peinture
Arts visuels

Carmen Ruschiensky : Dévorer la peinture

On peut voir beaucoup de peinture ces jours-ci dans les galeries montréalaises. Parmi les artistes qui retiennent l’attention, notons l’exubérante CARMEN RUSCHIENSKY à la Fonderie Darling.

Il y a beaucoup de peinture exhibée ces temps-ci dans les galeries à Montréal. Et pas que de la bonne. Parmi les artistes qui retiennent l’attention, notons Carmen Ruschiensky avec sa manière très exubérante.

Je dois dire que les deux grands tableaux qui composent le coeur de l’expo de Ruschiensky à la Fonderie Darling ne sont pas d’égale intensité. L’un, malgré tout le talent qu’il représente, me semble enfoncer une porte déjà bien ouverte, alors que le deuxième m’apparaît plonger davantage dans le vif d’un sujet plus riche symboliquement.

La toile Buffet à volonté est une orgie de victuailles incarnées par une peinture dégoulinante comme un gâteau au miel ou une crème glacée en train de fondre. Cela est à vous dégoûter de toute nourriture. Plein d’aliments, dont d’énormes quantités d’oeufs et de beignes, structurent la surface du tableau. On dirait une table dressée pour un petit-déjeuner dans les années 50 – comme dans une scène du film Pleasantville -, époque où le beurre, le sucre et le gras étaient considérés comme bons pour la santé. C’est très bien réussi. Mais que cela apporte-t-il de nouveau à la critique de l’américanité faite depuis longtemps entre autres par le pop art de Rosenquist ou de Warhol ou encore par le Rauschenberg du début, avec ses hamburgers mous et ventripotents? Même si le spectateur pourra lire dans ces dégoulinades picturales une critique des splashings pollockiens – qui du coup semblent être eux aussi issus de l’excès de richesse de la société américaine -, ce tableau reste néanmoins une énième réitération de critique de la société de surconsommation.

L’immense toile qui lui fait face, intitulée 7 jours à Paris, peinte avec des vins rouges et blancs ainsi que de l’huile, est bien plus pertinente. Bien des artistes se sont servis de nourriture pour composer leurs oeuvres… Pourtant, l’effet est original. Le rouge fait sang (menstruel?), le blanc se fait sécrétion vaginale, salive ou sperme…. Fabriqué lors d’une résidence – les 7 jours du titre – de l’artiste à Paris, l’ensemble fait penser à ces scènes de sexe où la nourriture participe au bonheur de l’être. Mais plus que cela, ce tableau nous sort du débat de l’art qui nourrit l’artiste, ou de l’artiste qui se nourrit de son art (sur les plans symbolique et économique ). L’art comme le détritus de la vie, comme une nappe ou un lit après un repas ou une baise.

Jusqu’au 22 décembre
À la Fonderie Darling

Les élus
C’est presque la bible du milieu de l’art! Pour la deuxième fois en trois ans, l’historien de l’art Burkhard Riemschneider et la commissaire d’exposition Uta Grosenick publient aux Éditions Taschen leur répertoire des 137 artistes contemporains "les plus influents". En 1999, cet ouvrage s’intitulait L’Art au tournant de l’an 2000; pour cette version revisitée, le titre est tout simplement Art Now. On dirait presque un ordre, celui d’être de son époque. Mais pourquoi cet impératif du temps? Cela nous pousserait presque à répondre par une question: Art, Where?

Notons que seulement deux Canadiens sont présents dans ce répertoire: Janet Cardiff (qui vit maintenant à Berlin) et Jeff Wall. Stan Douglas qui était dans l’édition de 99 est disparu de celle de 2002. On remarquera certes une plus grande place octroyée à des artistes asiatiques – mais vivant aux États-Unis (Udomsak Krisanamis, Won Ju Lim) ou dans des pays occidentaux -, à des créateurs mexicains (Santiago Sierra, Francis Alÿs, Gabriel Orozco), français (Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huyghe, Philippe Parreno), brésiliens (Vik Muniz, Ernesto Neto) et même à un congolais (Bodys Isek Kingelez) cité par un commentaire qui aurait pu être plus pertinent par rapport à sa position géopolitique ("Je puise mes idées en Afrique!!"). Néanmoins, la majorité des artistes proviennent du réseau États-Unis-Grande-Bretagne-Allemagne. Les quelques marginaux de cette liste nous rappellent seulement comment le centre a besoin d’une périphérie pour exister. Les auteurs allemands qui ont fait la sélection auraient pu être plus originaux et moins collés à l’actualité des grandes biennales et événements internationaux. Pour ceux qui suivent ces méga-expositions, ce livre ne contiendra pas vraiment de surprises. Malgré cela, c’est un ouvrage important pour qui veut connaître plus précisément le travail de ces artistes-vedettes. On trouvera cependant ridicule le court texte de présentation, qui décrit ce livre comme donnant "une idée de ce que coûtera une oeuvre de Damien Hirst ou de Sharon Lockhart" (ce qui est toujours intéressant à connaître ), mais aussi comme permettant de savoir "à qui s’adresser quand vous aurez décidé d’acheter" (sic!) Le Art Now du titre sonne alors plus comme une phrase d’un collectionneur capricieux qui veut tout de suite son nouveau joujou.

à signaler
Jusqu’au 14 décembre, à la Galerie La Centrale (460, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 506), c’est la cinquième édition du Mois de la performance. Cette année, l’événement s’intitule Les Filles de la Cité et tente de montrer "comment certaines pratiques de la performance sont influencées, nourries, articulées par la ville, c’est-à-dire par la dynamique propre de l’espace urbain et le statut du féminin dans cet espace".

Notons que ce soir 28 novembre, à 19 h 30, Devora Neumark, Michelle Bush et Karen Guttman seront en représentation. Samedi 30 novembre, à 14 h, aura lieu une table ronde avec Devora Neumark, Zoey Kroll, Margaret Tedesco et Sylvie Cotton.

Renseignements: (514) 871-0268 ou www.lacentrale.org.