Parole de peau : Ouvres de chair
À travers les âges et les cultures, de l’hygiène chez les Égyptiens au piercing chez certains habitants d’Amazonie, le Musée de la civilisation envisage la peau comme un objet scientifique, artistique et anthropologique. La complexité de l’épiderme.
C’est en parcourant un labyrinthe de voiles transparents que nous découvrons divers aspects de cette enveloppe commune à tous les humains: la peau. Smuggleriux, un plâtre d’un écorché réalisé par William Pink, en 1834, et provenant de la Royal Academy of Arts de Londres, nous accueille. L’homme sans peau, c’est le fantasme des anatomistes de la Renaissance qui voulaient découvrir les mystères du corps humain sous son enveloppe. Accompagnés de plusieurs textes explicatifs, des dizaines d’objets ponctueront notre chemin: quelques échantillons d’une plante à épiler provenant du Brésil, des photographies de bodybuilders, une tête maorie tatouée et momifiée de Nouvelle-Zélande, des instruments de tatouage du Japon; des oeuvres d’art aussi. Parmi ces mille et une curiosités, notre attention sera toutefois captivée par quelques spécimens étrangement inquiétants. Familiers et pourtant troublants sont en effet ces fragments de peau humaine provenant du Musée d’anatomie de la faculté de médecine de l’Université de Lyon en France. Tristes restes de peau exsangue que ces morceaux de pectoraux tatoués et non réclamés d’un officier français où on peut lire les mots suivants: Pas de chance. Il faut avoir la peau dure…
Lieu de rites défiant les tabous, objet scientifique complexe, la peau, c’est aussi le reflet de l’invisible où se trouvent inscrits les mouvements du coeur, ceux de nos émotions aussi, et d’une manière plus permanente, le temps qui passe. Mais encore, les cellules de la peau et celles du cerveau jouent de connivence, lit-on dans le texte de l’exposition. En peinture, le désir de reproduire et de représenter le plus fidèlement possible la chair et ses subtiles variations, on l’appelait l’incarnat, procédé minutieux par lequel le peintre mélangeait le rouge, le jaune et le bleu pour arriver à laisser croire que le sang coule bel et bien dans les veines de son modèle. Notre meilleur exemple à ce jour reste le fameux tableau de Gustave Courbet L’Origine du monde (1866), mais pour le contempler, il faudrait se déplacer au Musée d’Orsay. Pour l’heure, Portrait d’une jeune fille, de William Hogarth, une huile du XVIIIe siècle empruntée au Musée des beaux-arts de Montréal, illustre l’incarnat dans une peinture où les joues roses de la jeune fille laissent deviner l’embarras du modèle.
Autres curiosités que ces petits échantillons de peau percée par une balle de calibre 308 provenant du dépôt du Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale du ministère de la Santé publique. Les morceaux présentés sous verre nous confirment que la peau est bel et bien "à l’avant-garde du corps". Mais ces artefacts marginaux se perdent (heureusement!) entre les dizaines de flacons de parfum et autres beaux objets participant à la séduction et aux soins de la peau depuis des millénaires. Autant d’usages et de pratiques qui nous rappellent au passage – à l’instar du test qui permet aux visiteurs de connaître le degré d’hydratation de leur peau – que l’exposition est commanditée par L’Oréal. L’opération s’apparente à une vaste entreprise publicitaire pour la multinationale – il serait difficile de le nier – dont un des plus nobles objectifs demeure la beauté et le bien-être. En même temps, Parole de peau demeure une occasion de se connaître soi-même à travers la petite histoire de notre épiderme. Tel qu’on peut le lire sous la plume de Paul Valéry en épigraphe d’un petit livre sur le sujet récemment paru dans la collection Découvertes de Gallimard: "Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau."
Jusqu’en septembre 2003
Musée de la civilisation
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