L’année en arts visuels : Examen de la vue
S’il nous en a fait voir de toutes les couleurs cette année, le temps est maintenant venu de considérer le paysage des arts visuels dans son ensemble. Sur tous les tons.
Au musée
Le Musée du Québec termine l’année avec une superbe exposition du Belge Pierre Alechinsky, membre du groupe COBRA (COpenhague-BRuxelles-Amsterdam), artiste de l’avant-garde européenne. On y découvre le travail colossal de ce graveur, "barbouilleur" prolifique, avec 88 oeuvres sur papier. Ceux qui fréquentent le Musée du Québec le savent: on y fait de multiples expériences. On apprend à connaître autant l’art ancien, moderne qu’actuel. C’est une encyclopédie vivante, un lieu d’éducation culturelle, où on peut aussi flâner à sa guise… s’asseoir confortablement sur les fauteuils de cuir et y contempler pour l’éternité les paysages d’hiver de Jean-Paul Lemieux dans la salle qui lui est consacrée…
Ce n’est pas tout, pendant l’année 2002, le Musée du Québec a renouvelé son engagement pour l’art contemporain avec notamment la présentation d’une exposition d’art Web, parfaitement installée dans les cellules de l’ancienne prison, avec l’installation de Massimo Guerrera, celle d’Annie Thibault dans le Grand Hall. Enfin, on nous aura autant fait découvrir l’art de Bourdelle, avec ses magnifiques bronzes, que permis d’apprivoiser les tableaux de Suzor-Coté. Et bien entendu, l’année 2002 aura été celle des hommages à Jean-Paul Riopelle. L’exposition de ses voitures de collection, la parution d’un bel ouvrage sur son oeuvre signé par John Porter. Cette année 2002 aura été la découverte de l’oeuvre de Riopelle pour le grand public, avec la récente édition du DVD-ROM Salut Riopelle. Un objet qu’on hésite encore à considérer comme la cerise sur le gâteau ou la goutte d’eau qui fait déborder le vase…
Dans les galeries
L’exposition des tableaux du peintre Martin Bureau à la Galerie Madeleine Lacerte aura été un des événements en galerie en 2002. Avec Écran-Époque, Bureau nous montre ce qu’il peut faire: questionner la peinture et la profusion des images en ne nous privant d’aucun des plaisirs de la matière. C’est aussi chez Lacerte qu’on aura eu les plus marquants émois esthétiques avec les magnifiques tableaux de Michèle Drouin, qui restent encore gravés dans notre mémoire. Aussi intense a été la rencontre du travail de peinture de Kittie Bruneau chez Estampe-Plus. Côté sculpture, on retient d’emblée les installations de Cooke et Sasseville chez Rouje – des pièces qui ont depuis été présentées au Musée régionale de Rimouski et qui sont actuellement au Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe. Florent Cousineau et André Dubois ont aussi fait l’événement chez Rouje en occupant l’espace magistralement. Et sans oublier les expositions à la galerie Le 36, notamment les sculptures récentes de David Naylor. Enfin, Le Courtisan, de Yannick Pouliot – qui expose bientôt chez VU -, nous a transportés avec son cabinet-fusée sur la planète Versailles.
Sur la rue
Quelle soit spontanée ou programmée dans un événement organisé, l’intervention artiste sur la rue provoque le plus souvent en décalage avec le prévisible. L’îlot Fleurie sous l’autoroute Dufferin a été pendant plusieurs semaines le théâtre d’installations et de performances en tout genre. C’est sous le thème du cirque que s’y est déroulée en août la dernière édition d’Émergence dont un des moments mémorables a été la soirée de lutte – de la vraie! – dans une arène de fortune. Le cirque dans toute sa splendeur: exacerbation de la mise en scène, absurdité, échanges verbaux pas du tout politiquement corrects, délire de foule, "purgations des passions", bref, un moment cathartique que n’aurait pas dédaigné Aristote.
En plus de la performance de Julie-Andrée T., qui a – encore et notamment – ingurgité un litre de Coca-Cola, un autre grand moment a été l’intervention d’Elvira Santamaria. Installée en plein boulevard Charest, Santamaria réussira à elle seule à déplacer et à émouvoir la foule bigarrée d’amateurs de perf. Aussi radicale que poétique aura été aussi son installation à la Chambre blanche dans le cadre de l’échange Québec-Mexique Lascas. L’artiste mexicaine a aussi participé avec Black Market à la plus longue performance de l’année pendant la Rencontre internationale d’art performance du Lieu, dont un des moments forts a été la construction de Roi Vaara. Édifiant autour de lui une cheminée de brique jusqu’à disparaître sous l’imposante structure, Vaara fera un double coup de théâtre avec une fumée immense sortant de la cheminée que l’artiste captif démolira ensuite, non sans recevoir quelques briques par la figure, nous laissant interdits sous l’autoroute Dufferin.
ENCADRÉ
Le silence des chromos…
Quant aux flops, on en compte autant que d’événements passés sous silence, d’expositions déjà oubliées, de performances ennuyantes, de croûtes et autres chromos sur lesquels on ferme les yeux. Et puisque dans cette page, on privilégie toujours les bons moments, les oeuvres exaltantes, critiques, dérangeantes; ce qui fonctionne, ce qui nous touche surtout, les caractères nous manquent quand il s’agit de parler de ces choses, comme l’invention du giclé, procédé – à la mode aux É.-U. – par lequel on reproduit des tableaux qu’on imprime ensuite sur de la toile et qu’on vend à des prix de fou sur la rue du Sault-au-Matelot. Non qu’on veuille défendre l’oeuvre unique, mais c’est quand même un bon exemple de perte d’aura de l’oeuvre d’art…