Pascal Grandmaison : Étirer le portrait
Arts visuels

Pascal Grandmaison : Étirer le portrait

Avec son installation Spin présentée à l’Espace VOX, Pascal Grandmaison sonde intelligemment les codes du  portrait.

C’est tout l’art du portrait que questionne Pascal Grandmaison avec son installation présentée ces jours-ci à l’Espace VOX. Rien de moins. Et même s’il n’est pas le seul à interroger avec intelligence ce genre artistique ces temps-ci (je pense entre autres à Fiona Tan), il réussit néanmoins à lui redonner une force critique certaine.

Un portrait, ça semble aller de soi. Ça sert à fixer une identité (ne serait-ce que pour un passeport ou un permis de conduire), à garder le souvenir d’un être… Avec Spin de Grandmaison, le portrait se fait insaisissable. Dix modèles – une alternance de gars et de filles – sont comme scannés lentement de haut en bas par une caméra en très gros plan, au ras de l’épiderme. On ne peut jamais voir en entier leur visage pourtant ainsi si bien détaillé. Cela d’autant plus que l’image vibre, gigote, grouille comme si la caméra était tenue par la main d’un parkinsonien ou d’un amoureux frémissant. Grandmaison sonde ainsi les codes du portrait, ses cadrages normatifs, l’aspect très hiératique de sa pose… Depuis la Renaissance, ce genre s’est développé avec la montée de la notion d’individualité. Le portrait a servi à la noblesse puis à la bourgeoisie pour célébrer son pouvoir et sa richesse, mais aussi pour créer une distance hiérarchique… Je crois que c’est Hannah Arendt – un lecteur attentif me corrigera – qui pointait comme l’une des raisons majeures de l’expansion de la photographie au 19e siècle sa prise en charge par la bourgeoisie afin de perpétuer sa tradition de portraits et son image à travers les siècles. Nos poses actuelles, notre façon de nous représenter, de nous donner à voir aux autres et à l’histoire future en sont héritières. Cette pièce de Grandmaison nous fait prendre conscience de cela.

Toujours chez VOX, Vera Greenwood (née à Calgary, mais vivant au Québec) présente une installation digne de ces poupées russes s’emboîtant les unes dans les autres. C’est une oeuvre post-moderne. À moins qu’elle ne soit post-post-moderne… Greenwood est partie à la recherche de l’artiste française Sophie Calle et de son travail d’enquête sur elle-même. Rappelons que pour La Filature (1981), Calle avait demandé à sa propre mère d’engager un détective pour la surveiller… Greenwood a décidé à son tour de suivre – au propre et au figuré – la trace de Calle et d’espionner elle-même l’artiste française. Greenwood a suivi Calle comme une groupie ou une star stalker. Elle a aussi repris les détails du récit de La Filature pour juger de son authenticité. Greenwood suit donc Calle qui elle-même était suivie par sa mère grâce à un détective qui en fait ne savait pas que Calle épiait ses mouvements… Vous me suivez? Voici une mise en abyme à la puissance 10. Si elle ne vous donne pas mal au coeur, c’est que vous êtes un habitué des films de Greenaway, de Duras, et que pour vous, Psycho a été réalisé par Gus Van Sant. Pour comprendre mieux sa démarche tarabiscotée, on pourrait payer Calle pour qu’elle suive la mère de Greenwood!

Un travail de déconstruction de l’autofiction qui ne nous apprend rien d’autre que la fiction est bel et bien inventive. Pour paraphraser Duras, cela aurait été une oeuvre…

Jusqu’au 19 janvier
À l’Espace VOX

Michael Snow
Voici un document de référence sur l’immense production de l’artiste canadien Michael Snow (né en 1929). Ce DVD-ROM contient des extraits de ses films, des images de ses oeuvres installatives, de ses photographies, de son travail audio et sonore moins connu (et bien d’autres choses), ainsi que des textes sur son travail signés par Thierry de Duve, Nicole Gingras, Pierre Théberge… C’est évidemment son oeuvre filmique qui ressort de ce corpus avec le plus de force. Un travail de réflexion sur le médium, avec des effets de distanciation critique et d’exacerbation du temps présent. À cet égard, les extraits de Presents (1980) ou de So Is This (1982) sont très bien choisis. De merveilleux Snow flakes… Cependant, ses oeuvres holographiques et même ses plus récentes installations (comme Place des peaux) ressortent de ce bilan comme ne tenant pas bien la route, bien trop littérales, parfois une simple illustration du pouvoir de l’art de créer des illusions.

L’interface est ici digne du contenu, ce qui n’est pas souvent le cas des CD-ROM ou DVD-ROM sur l’art qui, en général, sont visuellement aussi inventifs que le dictionnaire Robert. Malheureusement, ce petit bijou ne sera pas utilisable par tout un chacun. Il vous faudra un ordinateur puissant (G4 de 400 MHz ou Pentium III de 800 MHz) pour faire fonctionner le tout.

Publié par les Éditions du Centre Georges-Pompidou avec la collaboration de la Fondation Daniel Langlois et d’Époxy Communications.